Les chercheurs ont des raisons de penser que la DMT ne se résume pas à des hallucinations.
La DMT (N,N-diméthyltryptamine) est une molécule psychoactive naturelle que l’on trouve dans les plantes de plusieurs genres, notamment Acacia, Desmodium, Mimosa, Virola, Delosperma et Phalaris.1 C’est le principal composé actif de l’ayahuasca, traditionnellement obtenue à partir des feuilles de Psychotria viridis.
La DMT a également été observée chez les mammifères.2,3 En 1961, Axelrod a été le premier à mettre en évidence la présence de DMT dans le cerveau de rats et d’êtres humains.4 Une étude sur la synthèse et la sécrétion de DMT dans le cerveau de rat publiée en 2019 dans la revue Nature a fait l’objet d’une importante couverture médiatique, conduisant les chercheurs à se demander si ce mécanisme se produisait également dans le cerveau humain.5
Le regain d’intérêt pour le potentiel thérapeutique des molécules psychédéliques ouvre la voie à des recherches plus approfondies sur la DMT. Les recherches se concentrent généralement sur ses effets hallucinogènes, essentiellement en rapport avec l’Ayahuasca. Certaines études réalisées au cours de la dernière décennie montrent toutefois que la DMT pourrait aussi avoir des effets bénéfiques sur la santé.
Applications thérapeutiques possibles de la DMT
Dans le domaine de la science, si vous ne comprenez pas comment une chose fonctionne ni ce qu’elle fait, il est difficile de savoir ce que vous pouvez en faire. Depuis la découverte d’Axelrod en 1961, les scientifiques se demandent pourquoi la DMT est présente dans le corps humain et ce qu’elle y fait.
En 2013, Frescka et al. ont publié un article de synthèse dans le Journal of Neural Transmission, proposant une piste de réponse. Selon les auteurs, la DMT pourrait jouer un rôle dans les processus biologiques adaptatifs via des récepteurs sigma comme le récepteur sigma-1. « D’après nos conclusions, la DMT n’est pas seulement active sur le plan neurochimique, elle est aussi bioactive de manière générale. Son action sur les récepteurs sigma n’est pas particulièrement révélatrice de ses effets psychédéliques, mais indique plutôt un rôle de régulateur universel dans les changements induits par le stress oxydatif au niveau de l’interface entre le réticulum endoplasmique et les mitochondries ».
S’appuyant sur ces travaux, les résultats d’une étude réalisée en 2014 par Szabo et al. indiquent que la DMT (et la 5-MeO-DMT, 5-méthoxy-diméthyltryptamine) module la réponse inflammatoire chez les humains via le récepteur sigma-1.6 Dans un article de synthèse de 2015 traitant des psychédéliques et de l’immunomodulation, Szabo résume ainsi : « Les études mentionnées démontrent et proposent de nouveaux rôles biologiques pour la DMT, qui pourrait agir comme un régulateur endogène systémique de l’inflammation et de l’homéostasie immunitaire ».7
En 2016, Carbonaro et Gatch ont résumé la littérature neuropharmacologique consacrée à la DMT.1 Les deux chercheurs ont observé que la DMT pourrait être utile dans le traitement de l’anxiété, de la toxicomanie, de l’inflammation et du cancer. Cependant, à l’époque, ils ont formulé la mise en garde suivante : « Les études expérimentales ont été peu nombreuses et il est prématuré de conclure que la DMT pourrait avoir des utilisations cliniquement pertinentes ».
Dans une étude réalisée en 2018 sur des rats, les chercheurs ont découvert que la DMT (et d’autres psychédéliques) augmentait le nombre de synapses dans le cerveau.8 En outre, les auteurs ont déclaré que « …les psychédéliques sérotoninergiques sont capables d’augmenter fortement la neuritogenèse [croissance des neurones] et/ou la spinogenèse [croissance des épines sur les neurones] à la fois in vitro et in vivo. Ces changements ont été observés dans les zones du cerveau qui régulent les émotions et l’humeur.
Lever le voile sur la DMT
Bien que les études réalisées jusqu’à présent soient intrigantes, la DMT a encore un long chemin à parcourir. La molécule est victime des mêmes stigmates qui ont bloqué les recherches sur d’autres molécules psychédéliques. Cependant, des molécules comme la psilocybine et le LSD sont examinées sous un nouveau jour, ce qui, espérons-le, ouvrira la voie pour la DMT.
Frecska et al. ont résumé avec éloquence le changement de paradigme global nécessaire pour exploiter les éventuels bienfaits de la DMT : « …bien que la DMT soit une substance qui provoque de puissantes expériences psychédéliques, elle doit être abordée non comme une drogue hallucinogène, mais plutôt comme un agent dans les mécanismes adaptatifs majeurs et qui peut également servir d’outil prometteur dans le développement de futures thérapies médicales ».
- REFERENCES
- Carbonaro TM, Gatch MB. Neuropharmacology of N,N-Dimethyltryptamine. Brain Res Bull. 2016;126(Pt 1):74-88. doi:10.1016/j.brainresbull.2016.04.016
- Christian ST, Harrison R, Quayle E, Pagel J, Monti J. The in vitro identification of dimethyltryptamine (DMT) in mammalian brain and its characterization as a possible endogenous neuroregulatory agent. Biochemical Medicine. 1977;18(2):164-183. doi:10.1016/0006-2944(77)90088-6
- Saavedra JM, Axelrod J. Psychotomimetic N-Methylated Tryptamines: Formation in Brain in vivo and in vitro. Science. 1972;175(4028):1365-1366. doi:10.1126/science.175.4028.1365
- Axelrod J. Enzymatic Formation of Psychotomimetic Metabolites from Normally Occurring Compounds. Science. 1961;134:343. doi:10.1126/science.134.3475.343
- Dean JG, Liu T, Huff S, et al. Biosynthesis and Extracellular Concentrations of N,N-dimethyltryptamine (DMT) in Mammalian Brain. Sci Rep. 2019;9(1):1-11. doi:10.1038/s41598-019-45812-w
- Szabo A, Kovacs A, Frecska E, Rajnavolgyi E. Psychedelic N,N-Dimethyltryptamine and 5-Methoxy-N,N-Dimethyltryptamine Modulate Innate and Adaptive Inflammatory Responses through the Sigma-1 Receptor of Human Monocyte-Derived Dendritic Cells. Langmann T, ed. PLoS ONE. 2014;9(8):e106533. doi:10.1371/journal.pone.0106533
- Szabo A. Psychedelics and Immunomodulation: Novel Approaches and Therapeutic Opportunities. Frontiers in Immunology. 2015;6. doi:10.3389/fimmu.2015.00358
- Ly C, Greb AC, Cameron LP, et al. Psychedelics Promote Structural and Functional Neural Plasticity. Cell Reports. 2018;23(11):3170-3182. doi:10.1016/j.celrep.2018.05.022
Article original : Barbara E. Bauer, MS /psychedelicreview.com