Des recherches récentes révèlent que la psilocybine provoque des changements dans l’activité de l’amygdale en contradiction avec ceux observés dans les traitements avec des antidépresseurs classiques.
Les psychédéliques sérotoninergiques – autrement dit le LSD et la psilocybine – offrent de grandes perspectives dans le traitement d’une multitude de troubles neuropsychiatriques, dont la dépression1. De nombreux antidépresseurs classiques – c’est-à-dire les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine-noradrénaline (IRSN) – ciblent la communication par l’intermédiaire d’un ou plusieurs neurotransmetteurs cérébraux : les messagers chimiques du cerveau qui, entre autres fonctions, régulent l’humeur.
Effets sur le réseau
Les psychédéliques semblent exercer leur action antidépressive à un niveau plus global par rapport aux antidépresseurs classiques, entraînant des changements durables dans les réseaux cérébraux.2 Par exemple, la psilocybine – une molécule présente dans les champignons à psilocybine (alias champignons magiques) – diminue fortement l’activité du réseau du mode par défaut (MPD), un système de connexions fonctionnelles dans le cerveau qui est responsable de l’introspection et essentiel dans le bon fonctionnement de la mémoire et des émotions. Le MPD est formé et renforcé par des réponses adaptatives aux événements et expériences de la vie. Une rigidité excessive du MPD peut se manifester par des symptômes de rumination, de dépression et d’autres problèmes de santé mentale.
La régulation du DMN par la psilocybine conduit temporairement à une connectivité accrue entre des régions du cerveau qui ne communiquent généralement pas entre elles, ce qui correspond à l’expérience subjective de « dissolution de l’ego » et à la génération subséquente de nouvelles perspectives et de nouveaux enseignements (figure 1)2.
Des recherches récentes du Centre de Recherche Psychédélique de l’Imperial College de Londres (ICL) ont examiné l’activité, après l’administration de psilocybine, de l’amygdale, un élément clé du MPD4,5.
L’amygdale et les émotions
L’amygdale – impliquée principalement dans le traitement des réponses émotionnelles, y compris la peur et l’anxiété – est une structure cérébrale en forme d’amande située dans le système limbique, une zone où sont gérées les émotions. L’amygdale est aussi impliquée dans la formation des souvenirs.
Le groupe de chercheurs de l’Imperial College de Londres a utilisé l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf ou scanner cérébral) pour étudier les effets de la psilocybine chez les patients dépressifs, mettant en évidence une activation plus prononcée de l’amygdale le lendemain du traitement4,5. Les participants à l’étude ont présenté une hyperactivation de l’amygdale en se voyant présenter des images de stimuli négatifs (dans ce cas, des expressions faciales négatives).
Ces résultats sont en contradiction avec les affirmations habituelles qui prétendent que l’activation amplifiée de l’amygdale face à des stimuli négatifs est une caractéristique de la psychopathologie. En fait, il a été démontré que les antidépresseurs classiques réduisaient l’activation des amygdales6.
En outre, des recherches récentes publiées par l’université Johns Hopkins ont montré une diminution des réponses de l’amygdale face à des stimuli émotionnels négatifs une semaine après le traitement à la psilocybine, qui correspond également à la définition classique de l’action des antidépresseurs7.
Le cortex préfrontal : Le chef d’orchestre
Des recherches récentes du Centre de Recherche Psychédélique ont mis en lumière l’hypersensibilité apparemment contre-intuitive de l’amygdale après un traitement à la psilocybine.5 Là encore, à l’aide de l’IRMf, l’étude a démontré une diminution de la connectivité entre l’amygdale et une zone du cerveau appelée cortex préfrontal ventromédian, le lendemain de l’administration de la psilocybine. Le cortex préfrontal est souvent impliqué dans l’orchestration des pensées et des actions en fonction d’objectifs internes et de la planification d’un comportement cognitif complexe. Le cortex préfrontal ventromédian, en particulier, joue un rôle important dans le traitement des émotions, conférant un contrôle inhibiteur du haut vers le bas sur le système limbique, y compris l’amygdale.
Le groupe d’étude postule que cette diminution de la connectivité entraîne une réduction du contrôle inhibiteur du cortex préfrontal ventromédian sur l’amygdale, augmentant ainsi l’activité de l’amygdale. La diminution de la connectivité entre l’amygdale et le cortex préfrontal ventromédian serait à l’origine de troubles neuropsychiatriques qui expliqueraient la perturbation du traitement émotionnel8. La rumination, définie comme un mode de pensée récursif, autonome et introspectif axé sur les émotions négatives, est un élément important d’un épisode dépressif.
Contextualiser les résultats
Les résultats des études évoquées ci-dessus remettent en question le récit selon lequel la sensibilité aiguë de l’amygdale est une caractéristique fondamentale de la psychopathologie. L’une des principales explications du groupe de l’ICL concernant l’hypersensibilité de l’amygdale après l’administration de psilocybine tient au fait que les psychédéliques exercent leur effet thérapeutique d’une manière nouvelle par rapport aux antidépresseurs classiques.
Les antidépresseurs classiques régulent les réponses émotionnelles, ce qui atténue les émotions et permet aux patients de faire face à leurs symptômes dépressifs. Inversement, les psychédéliques permettent aux individus de s’engager plus pleinement dans leurs émotions, favorisant ainsi l’acceptation de ces dernières.
Toutefois, les recherches sur le mécanisme d’action précis des composés psychédéliques en sont encore à leurs balbutiements et fondés encore en partie sur beaucoup de spéculations.
- REFERENCES
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Article original : Shane O’Connor /psychedelicreview.com