Les états de conscience extraordinaires qui émergent après l’ingestion de la molécule de DMT sont marqués par de multiples particularités. La DMT est capable de fournir une riche panoplie d’expériences en très peu de temps. Depuis qu’elle a été administré pour la première fois dans des contextes de recherche clinique, ses effets ont été décrits par ceux qui en on fait l’expérience comme ressemblant à un voyage dans un manège de montagnes russes. Le contenu de ces expériences peut aller de la perception de formes géométriques jusqu’au sentiment d’accéder à de nouvelles réalités, les témoignages mentionnant souvent la présence « d’entités ».1 2 3 Ainsi, l’utilisation de la DMT en neuroimagerie humaine permet de comprendre ce qui se passe dans le cerveau au cours de ces expériences. La molécule possède un potentiel important pour contribuer aux recherches des neurosciences sur la conscience. Permettez-moi d’expliquer pourquoi je crois que la DMT est un outil si fascinant pour les neurosciences et la science de la conscience en général.
L’importance des psychédéliques dans les recherches sur la conscience
L’étude neuroscientifique de la conscience a connu une résurgence au cours de ces dernières décennies. De nombreuses approches, théories et paradigmes expérimentaux ont été utilisés pour tenter de découvrir quels sont les corrélats neuronaux qui constituent une expérience dans un état de veille normal de la conscience.4 Une des approches souvent utilisées consiste à comparer les activités du cerveau du participant sous anesthésie générale puis lorsque celui-ci est conscient.5 Dans cette perspective, l’utilisation de composés psychédéliques offre une occasion précieuse d’examiner l’activité cérébrale lorsque les participants subissent des changements potentiellement radicaux dans leur expérience consciente sans que ces changements n’entraînent nécessairement une perte ou une diminution de leur niveau de conscience.
Ces dernières années, des études utilisant des composés psychédéliques ont contribué à la recherche sur la conscience en les utilisant comme outils pour modifier certains des éléments constitutifs des expériences d’état de veille normal de la conscience. La capacité des psychédéliques à provoquer la dissolution du sens du « moi » ou de l’ego en est un bon exemple, car le sens de soi est souvent étiqueté comme une caractéristique clé de la conscience éveillée normale9. Des études récentes utilisant le LSD et la psilocybine ont identifié certaines des dynamiques cérébrales qui peuvent arbitrer la dissolution du moi10. 11 12 13. De même, les psychédéliques sont capables de modifier des éléments fondamentaux de la perception et de la faculté à donner un sens à des expériences. Ainsi, dans le domaine de la recherche psychédélique, nous avons à notre disposition des outils intéressants pour comprendre certains des éléments de base qui composent l’expérience de la vie dans ce monde.
La richesse de l’expérience de la DMT
L’administration de DMT pure, avec ses effets très diversifiés, a été relativement peu explorée dans le contexte des neurosciences modernes impliquant des participants humains. Les expériences avec la DMT sont riches en termes de contenu : le sentiment subjectif de sentir des présences, l’imagerie visuelle vivante et le sentiment d’accéder à d’autres réalités perçues comme « plus réelles que la réalité » sont des caractéristiques souvent rapportées dans les témoignages.14 15 16 Ces expériences fascinantes se produisent d’une manière relativement fiable et sûre dans des conditions appropriées17 qui nous permettent de les étudier en détail dans des contextes de recherche.
L’expérience de la DMT peut également fournir un aperçu sur un domaine encore relativement inexploré dans la recherche psychédélique concernant la façon dont les expériences induites par les psychédéliques se développent avec le temps. L’état de conscience modifié par la DMT est généralement caractérisé par un fort sens de la dynamique : les expériences se déroulent de manière rapide et séquentielle. Habituellement, un aspect de l’expérience prédomine et est rapidement remplacé par un autre, et ainsi de suite (d’où l’analogie des montagnes russes). C’est intéressant parce que les effets de la DMT se font généralement sentir immédiatement après l’ingestion et les aspects les plus visibles de l’expérience ne dépassent généralement pas 30 minutes, ce qui permet de cartographier ces expériences extraordinaires et leur dynamique dans le cerveau humain.
Les transitions dynamiques de la conscience
Dans nos recherches en cours à l’Imperial College de Londres, nous cherchons à comprendre quels sont certains des mécanismes qui composent ces expériences, tant en termes d’activité cérébrale que d’expériences subjectives. Nous avons étudié les effets de la DMT chez les humains en administrant différentes doses, et avons évalué la nature de ses effets. Pour ce faire, nous avons travaillé avec des collaborateurs en utilisant des méthodes à la fois hors ligne et en ligne pour mesurer des expériences subjectives. La première méthode concerne le compte rendu de l’expérience après qu’elle a eu lieu, à l’aide de questionnaires et de techniques d’interview avancées. Les méthodes en ligne cherchent à saisir les aspects de la dynamique subjective de l’expérience telle qu’elle se déroule en temps réel. Nous espérons que ces méthodes nous permettront de caractériser l’expérience de la DMT d’une manière qui soit capable de saisir de près comment elle a été ressentie par les participants.
Nous nous intéressons également à la cartographie de ces expériences dans le cerveau. Pour ce faire, nous utilisons des méthodes de neuroimagerie avec une résolution spatiale et temporelle optimale (la résolution spatiale fait référence à la précision de l’endroit où les choses se produisent dans le cerveau, tandis que la résolution temporelle fait référence à la capacité de saisir le moment où les choses se produisent dans le temps). En utilisant des techniques avancées de neuroimagerie, nous essayons non seulement de capturer la façon dont le contenu s’intègre dans la dynamique du cerveau, mais aussi comment la transition d’une phase de l’expérience de la DMT est imbriquée à la suivante. Ainsi, un exemple de ce que nous tentons de faire vise à comprendre ce qui se passe dans le cerveau pendant l’expérience de percée dans une nouvelle dimension.
La recherche visant à établir un lien entre les aspects qualitatifs de l’expérience humaine et l’activité cérébrale a représenté un énorme défi dans le domaine des neurosciences, et des méthodes efficaces pour résoudre ce problème ont été élaborées18. 19 20 La recherche avec des composés psychédéliques, et plus particulièrement avec la DMT, nous donne la possibilité exceptionnelle de susciter de riches et complexes expériences de façon contrôlée.
References
Sai-Halász, A., Brunecker, G., & Szára, S. (1958). Dimethyl-tryptamin : ein neues Psychoticum (Dimethyl-tryptamin: a new Psychoticum) Psychiatria et Neurologia, 135, 258–301. ↩
Strassman, R. (2001). DMT: The spirit molecule. Rochester, VT: Park Street Press. ↩
Strassman, R. J. (1995). Human psychopharmacology of N,N-dimethyltryptamine. Behavioural Brain Research, 73(1–2), 121–124. ↩
Boly, M., Seth, A. K., Wilke, M., Ingmundson, P., Baars, B., Laureys, S., … Tsuchiya, N. (2013). Consciousness in humans and non-human animals: Recent advances and future directions. Frontiers in Psychology, 4, 625. ↩
Alkire, M. T., & Miller, J. (2005). General anesthesia and the neural correlates of consciousness. Progress in Brain Research, 150, 229–244. ↩
Boly, M., Moran, R., Murphy, M., Boveroux, P., Bruno, M.-A., Noirhomme, Q., Friston, K. (2012). Connectivity changes underlying spectral EEG changes during Ppopofol-induced loss of consciousness. Journal of Neuroscience, 32(20), 7082–7090. ↩
Horovitz, S. G., Braun, A. R., Carr, W. S., Picchioni, D., Balkin, T. J., Fukunaga, M., & Duyn, J. H. (2009). Decoupling of the brain’s default mode network during deep sleep. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 106(27), 11376–11381. ↩
Siclari, F., Baird, B., Perogamvros, L., Bernardi, G., LaRocque, J. J., Riedner, B., Tononi, G. (2016). The neural correlates of dreaming. BioRxiv, (November 2016), 1–52. ↩
Damasio, A. (1999). The feeling of what happens: Body, emotion and the making of consciousness. New York City, NY: Harcourt Brace ↩
Carhart-Harris, R. L., Muthukumaraswamy, S., Roseman, L., Kaelen, M., Droog, W., … Nutt, D. J. (2016). Neural correlates of the LSD experience revealed by multimodal neuroimaging. Proceedings of the National Academy of Sciences, 113(17), 4853–4858. ↩
Lebedev, A. V., Lovden, M., Rosenthal, G., Feilding, A., Nutt, D. J., & Carhart-Harris, R. L. (2015). Finding the self by losing the self: Neural correlates of ego-dissolution under psilocybin. Human Brain Mapping, 36(8), 3137–3153. ↩
Muthukumaraswamy, S. D., Carhart-Harris, R. L., Moran, R. J., Brookes, M. J., Williams, T. M., Errtizoe, D., … Nutt, D. J. (2013). Broadband cortical desynchronization underlies the human psychedelic state. Journal of Neuroscience, 33(38), 15171–15183. ↩
Tagliazucchi, E., Roseman, L., Kaelen, M., Orban, C., Muthukumaraswamy, S. D., Murphy, K., Carhart-Harris, R. (2016). Increased global functional connectivity correlates with LSD-induced ego dissolution. Current Biology, 26(8), 1043–1050. ↩
Luke, D. (2011). Discarnate entities and dimethyltryptamine (DMT): Psychopharmacology, phenomenology and ontology. Journal of the Society for Psychical Research, 75(902), 26–42. ↩
Sai-Halász, A., Brunecker, G., & Szára, S. (1958). Dimethyl-tryptamin : ein neues Psychoticum (Dimethyl-tryptamin: a new Psychoticum). Psychiatria et Neurologia, 135, 258–301. ↩
Strassman, R. J. (1995). Human psychopharmacology of N,N-dimethyltryptamine. Behavioural Brain Research, 73(1–2), 121–124. ↩
Strassman, R. (2001). DMT: The spirit molecule. Rochester, VT: Park Street Press. ↩
Lutz, A. & Thompson, E. (2003). Neurophenomenology integrating subjective experience and brain dynamics in the neuroscience of consciousness. Journal of Consciousness Studies, 10(9–10), 31–52. ↩
Petitmengin, C., & Lachaux, J. P. (2013). Microcognitive science: Bridging experiential and neuronal microdynamics. Frontiers in Human Neuroscience, 7, 617. ↩
Varela, F. J. (1996). Neurophenomenology: A methodological remedy for the hard problem. Journal of Consciousness Studies, 3(4), 330–349. ↩