Bien que la perte d’un être cher soit une affaire très personnelle, les ressources dans lesquelles nous puisons sont profondément culturelles. La psychologue Débora González explique comment l’Ayahuasca peut être un outil précieux pour construire un pont entre les mondes et faire le deuil.
L’Ayahuasca est un puissant breuvage psychoactif originaire de la forêt tropicale amazonienne. Le mot vient du Quechua huasca, qui signifie « vigne » ou « liane », et aya, qui signifie « âme », « défunts », ou « esprit ». Mais comment ceux qui ont donné à l’Ayahuasca cette signification particulière comprenaient-ils la mort ? Qu’est-ce qu’ils entendaient vraiment par « liane des morts » ? Nous n’avons toujours pas d’informations solides pour déterminer l’origine historique ou la tradition culturelle dans laquelle ce breuvage est apparu pour la première fois, et il est possible que nous ne le saurons jamais, alors ces questions pourraient ne jamais trouver de réponse.
Mais il est peu probable que cette société indigène ait compris la mort de la même façon que nous la comprenons dans notre société rationnelle, laïque et individualiste. L’idée que la mort est la fin ultime de l’existence est une croyance unique dans l’histoire des cultures et des civilisations du monde. Aujourd’hui, la société laïque confond le matériel avec le réel, et bien que l’origine et la nature de la conscience restent un mystère, nous imaginons que lorsque le corps se décompose, la conscience disparaît elle aussi. En outre, les individus en occident ont hérité du concept judéo-chrétien de temps linéaire où le passé n’existe plus, et par conséquent ceux qui sont morts ont également cessé d’exister.
Les conséquences psychologiques et sociales entraînées par la conception de la mort comme fin définitive sont dévastatrices. Nous avons perdu nos ancêtres, et nous perdrons à jamais tous ceux que nous aimons. Ceux d’entre nous qui ne s’identifient pas à une religion n’ont pas les mythes, les symboles, les croyances et les rituels qui tendent à combler cet abîme que nous avons nous-mêmes créé, car personne ne peut savoir ce que c’est que d’être mort. Dans son livre paru en 1917, Deuil et mélancolie, Sigmund Freud donne un conseil simple : se détacher des morts pour faire face à la douleur découlant de cette perte ultime.
« Mais… et si la mort n’était pas la fin de l’histoire » ? demanda une femme après avoir consommé de l’Ayahuasca. « Mourir ne semble plus être une fin, mais juste une autre sorte de début. » Ce sont là quelques-uns des commentaires recueillis dans le cadre d’une étude longitudinale visant à évaluer les effets à long terme de l’Ayahuasca chez les personnes en deuil. En 2015, l’ICEERS et la Fondation Beckley ont commencé une étude d’observation des personnes occidentales visitant le Temple of the Way of Light, un centre qui se focalise sur l’utilisation de l’Ayahuasca comme véhicule pour la guérison et la croissance personnelle dans le cadre de la médecine traditionnelle Shipibo.
Après avoir passé en revue les rituels et les discours sur la mort chez d’autres cultures, la psychologie s’est rendu compte qu’en dehors de l’Occident, les limites entre la vie et la mort sont dissoutes, favorisant ainsi les relations entre vivants et morts à continuer après cette vie. De nos jours, les psychologues ont compris que le détachement forcé avec ceux que nous aimons est non seulement inutile, mais nous prive également d’une grande source de richesse émotionnelle, morale, symbolique et poétique dans notre vie. C’est pourquoi le maintien d’un lien avec nos proches est une norme d’excellence dans les nouvelles approches thérapeutiques du deuil après la perte d’un être cher. Pour soutenir une relation continue, ces différents modèles thérapeutiques utilisent des techniques telles que le dialogue imaginaire, la correspondance avec l’être cher, la visualisation guidée ou la technique de la chaise vide.
« Je n’ai jamais pensé que je pourrais la sentir et être à nouveau avec elle », a expliqué une patiente après avoir consommé de l’Ayahuasca dans le cadre d’une étude développée par l’association PHI pour traiter la douleur lié à la perte d’un être cher à l’aide de l’Ayahuasca. Après que sa mère s’est suicidée alors que la patiente n’avait que quatre ans, elle a cherché un signe qui confirmait que sa mère était toujours proche d’elle. Elle a pu contacter ses proches décédés sous les effets de l’Ayahuasca. « Quand je regarde sa photo maintenant, je ne ressens plus le traumatisme que je vivais avant. Maintenant, je vois en elle une compagne qui me soutient. » Comme mes collègues et moi l’avons observé dans notre recherche, ces expériences provoquent souvent une transformation de l’image douloureuse de l’être cher intériorisée après le décès, favorisant plutôt une alliance intime. Ces expériences ont un impact thérapeutique profond, que les patients pensent que ces visions soient « réelles » ou « imaginaires ». Il est difficile de comparer ces expériences à celles suggérées par un thérapeute dans un contexte thérapeutique occidental.
L’expérience du deuil après la perte d’un être cher est pratiquement universel. Environ 10 % des personnes en deuil en Occident souffrent de ce qu’on appelle un trouble de deuil prolongé, qui a ses racines dans notre vision du monde particulière de la vie et de l’être humain. Je suis persuadé que tôt ou tard, la psychologie intégrera des outils botaniques comme l’Ayahuasca, qui ont été si précieux pour d’autres cultures, tout comme elle a accepté les façons de comprendre les relations entre les êtres humains en dehors des pays occidentaux. Quelle que soit l’origine du terme « liana de los muertos » (vigne des morts), l’Ayahuasca crée des ponts entre le monde des vivants et celui des morts, au-delà de l’abîme culturel qui sépare les peuples.
Article original traduit de l’espagnol vers l’anglais par Sarita Wilkins.
Débora González, Ph.D., est psychologue clinicienne et titulaire d’un doctorat en pharmacologie. Son travail de doctorat a été soutenu par une bourse du gouvernement espagnol. Elle est co-auteure de plusieurs articles scientifiques et chapitres de livres sur l’Ayahuasca, le 2C-B, la Salvia divinorum et les Nouveaux Produits de Synthèse . Débora mène actuellement une étude longitudinale sur les effets à long terme de l’Ayahuasca sur le bien-être et la santé des consommateurs occidentaux avec l’ICEERS ainsi qu’une étude pilote sur le traitement de la douleur complexe, par la technique de la respiration holotropique, et l’Ayahuasca en guise de traitement, en partenariat avec l’Association PHI.