Les scientifiques ont détecté de la DMT « à des niveaux suffisants pour contribuer aux fonctions cérébrales » chez des rats.
Les humains entretiennent une relation compliquée avec la DMT, la qualifiant à la fois de drogue dangereuse et de « molécule de l’esprit ». Aujourd’hui, un nombre croissant de recherches démontrent la capacité du cerveau des mammifères à fabriquer des quantités importantes de DMT par lui-même, laissant à penser que nous sommes peut-être encore plus intimement liés à la molécule que nous le pensions.
La DMT, abréviation de N,N-diméthyltryptamine, est l’un des principaux composés de l’Ayahuasca, une infusion psychoactive utilisée dans les rituels religieux en Équateur, en Colombie, au Pérou et au Brésil depuis des centaines d’années. Plus récemment, la molécule est devenue un élément central des recherches en cours sur les traitements des troubles de l’humeur et du stress post-traumatique. De nouvelles preuves suggèrent que non seulement le cerveau humain est sensible à la DMT, mais qu’il peut même la produire.
Dans un article publié jeudi dans la revue Scientific Reports, une équipe de scientifiques de l’Université du Michigan montre que le cerveau des mammifères possède les mécanismes nécessaires pour fabriquer la DMT. Les données démontrant la capacité du cerveau des mammifères à fabriquer sa propre DMT sont « très fiables chez les rats et les humains », explique à Inverse l’auteur de l’étude, la docteure Jimo Borjigin.
Produisons-nous de la DMT de façon endogène ?
L’idée que les cerveaux de mammifères produiraient de la DMT de façon endogène est attribuable au docteur Rick Strassman. En tant que psychiatre clinicien à l’Université du Nouveau-Mexique, Strassman a mené une série d’expériences dans les années 1990 qui ont mené à son livre (et plus tard à un documentaire) DMT : La Molécule de l’Esprit, dans lequel il propose la possibilité pour la glande pinéale de sécréter naturellement de la DMT en quantité suffisamment élevée pour induire des expériences mystiques.
En 2013, le laboratoire de Borjigin a détecté des signes de DMT dans la glande pinéale de rats. Cependant, l’idée que la DMT endogène ait atteint ce niveau chez les humains est toujours contestée.
Dans le cadre de ses nouvelles recherches, Borjigin soutient qu’il existe des preuves que nous produisons effectivement suffisamment de DMT pour être biologiquement significatif.
« La DMT est naturellement fabriquée et libérée dans le cerveau des mammifères à des niveaux suffisants pour contribuer aux fonctions cérébrales », affirme-t-elle. Néanmoins, elle estime que la production de DMT n’est pas seulement le fait de la glande pinéale.
Dans cet étude, Borjigin et son équipe décrivent les résultats d’une expérience au cours de laquelle ils ont provoqué un arrêt cardiaque chez des rats, puis mesuré les niveaux de deux substances chimiques intervenant dans la synthèse de la DMT. Les chercheurs ont également examiné les tissus cérébraux de cadavres humains pour y déceler la présence de ces substances chimiques. Ils ont constaté que le cerveau humain contenait l’une de ces substances, tandis que le cerveau des rats contenait deux des enzymes nécessaires à la fabrication de la DMT, non seulement dans la glande pinéale, mais aussi dans le cortex cérébral et l’hippocampe. Contrairement aux travaux de Strassman, elle croit que ce n’est probablement pas la glande pinéale qui entraîne la synthèse de la DMT dans les cerveaux des rats.
« On pensait que la synthèse de la DMT se faisait à l’extérieur du cerveau, mais nous avons découvert la présence d’enzymes synthétiques de DMT dans le cerveau; en fait, nos données suggèrent que la production de DMT se fait très probablement à partir de cellules non pinéales du cerveau », explique-t-elle.
La DMT et la l’expérience de mort imminente
Animé par l’idée que le cerveau a les outils nécessaires pour fabriquer de la DMT, Borjigin a également entrepris d’enquêter sur l’une des plus grandes affirmations de Strassman : la DMT a des liens directs avec les expériences psychologiques qui accompagnent la mort, ou l’expérience de mort imminente. Son étude a été menée sur des souris, mais des travaux récents et continus ont aussi portés sur des humains.
« La DMT est naturellement fabriquée et libérée dans le cerveau des mammifères à des niveaux suffisants pour contribuer aux fonctions cérébrales. »
Ce que nous savons, c’est que lorsqu’on injecte de la DMT à des humains, cette substance peut provoquer des sensations hors du corps. Une étude réalisée sur des humains et illustrant cet effet a été publiée en août 2018 dans Frontiers in Psychology. Cette étude a révélé de fortes similitudes entre les expériences des personnes ayant reçu des injections de DMT et celles des personnes ayant vécu des expériences de mort imminente, y compris la sensation de transcendance de leur corps.
Un participant a décrit cette sensation comme un sentiment que le corps « ne semble plus être important ».
Les travaux de Borjigin portent principalement sur l’étude des rats, il n’y a donc pas de comptes rendus empiriques sur la transcendance. Mais elle a noté que certains rats ont montré des poussées dans les niveaux de DMT dans leur cerveau lorsqu’ils ont subi un arrêt cardiaque induit par les chercheurs dans le cadre de l’expérience. Il est important de noter que cela s’est produit même chez les rats dont la glande pinéale avait été enlevée.
» La DMT augmente chez un sous-ensemble de rats pendant l’arrêt cardiaque, mais pas chez tous les rats », précise-t-elle, ce qui suggère la nécessité d’une étude plus approfondie pour comprendre pourquoi seuls certains d’entre eux ont exprimé la molécule.
C’est un long chemin à parcourir pour relier les points entre les expériences humaines de la mort et un pic de DMT dans le cerveau des rats victimes d’un arrêt cardiaque. Les travaux de Borjigin visent à approfondir un peu plus une idée qui semblait autrefois farfelue : le cerveau des rats, au moins, a tous les outils pour fabriquer de la DMT par lui-même, bien que le mystère demeure quant à ce qui se passe réellement une fois que le processus se déclenche.
Article original : Emma Betuel /inverse.com