Des Scientifiques Prouvent Que Le Moi Est Une Illusion En Étudiant Des Drogues Psychoactives

Philosophes et mystiques ont longtemps contemplé l’idée déconcertante du moi comme illusion. Les neuroscientifiques pensent maintenant qu’ils peuvent le prouver ou, du moins, nous aider à entrevoir cette vérité avec l’aide de la psilocybine, la substance psychoactive des champignons magiques.

Des chercheurs du monde entier explorent le pouvoir transformateur de la substance pour aider à arrêter de fumer, à réduire les crimes violents, à traiter la dépression, l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique; et déclencher des révélations spirituelles durables chez les personnes psychologiquement saines, surtout lorsque les sessions avec la psilocybine sont associées à la méditation ou à un entraînement contemplatif.

Il y a certaines limites aux études sur la psilocybine – elles ont tendance à être de petite taille et dépendent de volontaires disposés à prendre des substance et, par conséquent, ouverts à une expérience différente. Mais la recherche pourrait avoir des implications majeures à une époque caractérisée par une anxiété généralisée. La psilocybine semble offrir à certaines personnes un chemin vers une vision alternative de la réalité, dans laquelle elles abandonnent les limites de leur conscience individuelle et embrassent un sentiment d’interconnectivité et d’universalité. Ces expériences ne sont pas temporaires, mais ont des effets psychologiques transformateurs. Les études offrent des perspectives sur la façon de minimiser la souffrance et les conflits interpersonnels et aussi d’acquérir un sentiment de paix.

Considérons une étude portée sur 75 sujets, publiée dans le Journal of Psychopharmacology en octobre dernier. L’étude a conclu que la psilocybine menait à des expériences mystiques qui peuvent avoir des bénéfices psychologiques à long terme en conjonction avec un entraînement à la méditation. Plus le dosage de la substance était élevé, plus l’effet psychologique positif était important jusqu’à six mois plus tard. « Les participants ont montré des changements positifs significatifs sur les mesures longitudinales concernant la proximité interpersonnelle, la gratitude, le sens et de l’objectif de la vie, le pardon, la transcendance de la mort, les  expériences spirituelles quotidiennes, la foi religieuse et l’adaptation », a conclu l’étude.

Pendant ce temps, en juillet, le psychologue Richard Williams de l’Université John Hopkins a révélé une expérience impliquant le clergé et la psilocybine. Williams a recruté des prêtres, des rabbins et des moines bouddhistes zen pour qu’ils prennent de la psilocybine, méditent et recueillent leurs expériences intérieures. L’étude durera un an, donc aucun résultat n’est encore disponible. Mais Williams a déclaré au journal The Guardian en juillet 2017 que jusqu’à présent, les clercs déclaraient se sentir simultanément plus en contact avec leur propre foi et ressentir une plus grande appréciation des chemins alternatifs possibles. Dans ces états transcendantaux de conscience, les gens … accèdent à des niveaux de conscience qui semblent universels. Pour qu’un bon rabbin puisse rencontrer le Bouddha en lui » a déclaré Williams.

Pour comprendre comment les champignons peuvent changer nos visions du monde, nous devons d’abord explorer comment le cerveau façonne notre perception de nous-mêmes.

Le rêve partagé

Notre conscience de l’existence – la capacité de faire la distinction entre soi-même et les autres – est créée par le cerveau, explique le neuroscientifique Anil Seth dans son intervention TED: « Votre cerveau hallucine la conscience« . Il déclare: « À l’heure actuelle, des milliards de neurones dans votre cerveau travaillent ensemble pour générer une expérience consciente – et non pas n’importe quelle expérience consciente, votre expérience du monde qui vous entoure et de vous-même à l’intérieur de celui-ci. »

Pourtant, quand vous êtes inconscient, vous continuez à exister sans percevoir votre propre présence. Vous cessez de participer à la réalité mais vous continuez à vivre. Quand vous êtes ramené à la conscience, vous manquez d’un récit pour expliquer le temps perdu. Le récit de l’histoire qui semble être votre vie n’est qu’une fonction des mécanismes de votre cerveau, et non pas qui vous êtes vraiment.

Pourtant, l’hallucination de la conscience est celle que nous avons tous en tandem. Quand nous sommes d’accord sur nos hallucinations, nous appelons cela la « réalité », selon Seth. Dans cette réalité convenue, nous sommes chacun des individus dont les histoires commencent avec nos naissances et se terminent avec nos morts.

Mais il y a d’autres façons de faire l’expérience de la réalité, que vous avez peut-être déjà entre-aperçues, même si ce n’est que de façon passagère. Parfois, notre conscience change. Les limites du moi semblent devenir moins rigides quand nous communions avec une autre personne ou une chose, comme cela peut arriver pendant des expériences induites par une drogue, bien sûr, mais aussi quand on tombe amoureux, médite, dans la nature ou dans l’expérience d’une grande rencontre intellectuelle.

Dans The Book (pdf), le philosophe Alan Watts écrit que nous ne sommes pas des individus qui existent dans des corps solitaires. Nous sommes un segment fluide dans la ligne de la vie continue. Lui et d’autres – mystiques, moines, moines, poètes (pdf) et philosophes de nombreuses traditions – pensent que les gens sont tristes et hostiles parce qu’ils vivent avec un faux sentiment de séparation les uns des autres et du reste du monde. « Ce sentiment d’être des visiteurs solitaires et très temporaires dans l’univers est en contradiction totale avec tout ce que l’on sait sur l’homme (et tous les autres organismes vivants) dans les sciences », écrit Watts dans The Book. « Nous n’entrons pas dans ce monde, nous en sortons comme les feuilles d’un arbre. »

Voir l’interdépendance et l’intemporalité de l’existence fournit une plus grande échelle. Cela aide à relativiser ses problèmes. C’est pourquoi les scientifiques essaient de trouver des moyens de déclencher la révélation dont parle Watts. Les psychédéliques peuvent aider, surtout depuis que nous pensons que nous savons comment le cerveau génère l’illusion du moi.

Désactivation du mode par défaut

Selon le neuroscientifique Robin Carhart-Harris, directeur de la recherche sur les psychédéliques à la division des sciences du cerveau de l’Imperial College de Londres, la conscience normale s’appuie, du moins en partie, sur le Réseau du mode par défaut du cerveau (MPD). Le MPD est un réseau de régions cérébrales en interaction qui agit comme un centre de transit cognitif, intégrant et assimilant l’information. Comme son nom l’indique, c’est le système d’organisation usuel de votre esprit. Carhart-Harris explique que le MPD « donne de la cohérence à la cognition » en reliant différentes régions du cerveau, et est considéré comme « l’orchestrateur du moi ».

Carhart-Harris et ses collègues ont découvert par inadvertance ce qui semble être une fonction importante du MPD. En étudiant les réseaux cérébraux, ils se sont intéressés aux changements qui pourraient survenir lorsque les gens sont sous l’effet des hallucinogènes. Dans des études analysant les effets de la psilocybine sur l’oscillation des ondes cérébrales et le flux sanguin, ils ont constaté que lorsque le MPD était inactif, un réseau alternatif de conscience semblait surgir.

Lorsque certains sujets de l’étude ont testé la psilocybine, ils ont rapporté un fort sentiment d’interconnectivité, ainsi que des sentiments spirituels, magiques et surnaturels.

En mode alternatif, le cerveau produisait un monde différent qui offrait d’autres sensations et d’autres révélations que dans la vie quotidienne. Dans ce mode, le moi n’était pas le protagoniste du récit. Pendant ce temps, les scanners de la circulation sanguine et des oscillations des ondes cérébrales ont montré de nouvelles connexions, inhabituelles, mais ordonnées et synchrones, se formant entre les régions corticales, comme si le cerveau réorganisait son réseau. Cela a amené Carhart-Harris à affirmer que le MPD génèrait le sentiment que nous avons tous d’être des individus, un sentiment qui se manifeste très fortement comme la réalité. Et ça veut dire qu’on peut temporairement éteindre ou couper le son de cette partie du cerveau.

Interrupteur d’égo

Selon la théorie psychanalytique, le sentiment d’avoir une identité personnelle est connu sous le nom d’égo. C’est le faiseur de frontières et le portier, qui trace des lignes et sépare le moi du toi. Mais comme le psychanalyste Sigmund Freud le note dans son essai de 1930 « Civilization and Its Discontents » (pdf), l’égo peut muter. Notre sens de l’identité peut changer – de la petite enfance à l’âge adulte, au sein des relations et avec certaines pratiques, comme la méditation.

Vivre dans une société, c’est vivre dans certaines limites, pour notre propre sécurité et celle des autres. Nous avons besoin de l’égo pour tracer des lignes de démarcation, nous protégeant des personnes qui peuvent profiter d’une trop grande bonté ou d’un esprit trop ouvert. Mais faire muter l’égo peut être une bonne chose. Désactiver le mode par défaut change les connexions entre les régions corticales et active de nouveaux modes, de nouvelles sensations et de nouvelles pensées, ce qui nous permet de « perdre l’influence inhibitrice sur notre propre narration conduit à des intuitions qui sont d’habitude inaccessibles pour la conscience ordinaire », explique Carhart-Harris.

L’expérience de cet état de conscience sans inhibition peut conduire à des changements durables, même après que la psilocybine se soit dissipée. Pour une personne gravement déprimée, changer l’activité cérébrale avec la psilocybine peut la faire sortir de l’ornière cognitive, où son mode par défaut répète des pensées et des sentiments négatifs en une boucle nuisible, explique Carhart-Harris. Et chez quelqu’un qui est psychologiquement sain, la perspective additionnelle fournie par un coup d’œil sur un état de conscience alternatif peut également améliorer le bien-être général.

Comme l’a écrit Shelby Hartman dans Quartz en janvier dernier, les données (pdf) de trois essais cliniques avec de la psilocybine menés auprès de 36 volontaires en bonne santé ont montré que de brèves expériences mystiques induites par la substance avaient changé les gens au fil du temps, les amenant à déclarer six mois plus tard se sentir de meilleure humeur, d’être plus altruiste et plus indulgent, d’être plus proches des autres et de ressentir un sentiment plus profond d’appartenance. Les deux tiers des sujets de l’étude ont évalué l’expérience vécue au cours d’une séance avec la psilocybine si significative qu’elle faisait partie des cinq événements marquants de leur vie, après par exemple la naissance d’un premier enfant. Les chercheurs croient que le souvenir de l’expérience – le trip, si vous voulez – continue d’influencer les gens longtemps après que la substance elle-même se soit techniquement dissipée.

Des changements auxquels vous pouvez croire

Les psychologues considèrent les expériences transformatrices radicales comme des « changements quantiques », par opposition à des changements progressifs fondés sur le comportement. Mais les deux ne s’excluent pas mutuellement. Une révélation provoquée par la psilocybine peut susciter un nouvel enthousiasme, une curiosité ou un sens de l’émerveillement qui peut déclencher des changements de comportement ou de nouveaux intérêts, stimuler le voyage, la danse, la contemplation, la méditation, l’intérêt pour la nature, les gens ou d’autres cultures. De même, aucune expérience passagère n’est aussi magique et profonde pour être capable de rendre chaque instant qui suivra facile à gérer, c’est pourquoi les pratiquants de la méditation peuvent faire l’expérience d’illuminations lorsqu’ils méditent, mais éprouvent encore des difficultés dans la vie quotidienne.

Dissoudre l’égo ne se produit pas une bonne fois pour toutes. Le réseau du mode par défaut reprendra ses fonctions, et il peut être difficile de rester en contact avec d’autres états de conscience. Les révélations que certaines personnes vivent sous l’effet de la substance constituent donc un point de référence auquel nous pouvons revenir lorsque le cerveau est en mode par défaut. C’est pourquoi les neuroscientifiques sont si désireux de découvrir comment les expériences mystiques peuvent être combinées avec des pratiques de méditation et d’autres formes de conseils spirituels, pour apporter un changement durable.

Dans la tradition bouddhiste, les pratiquants méditent pour cultiver un esprit conscient des modes simultanés, capable de naviguer dans les deux plans de la conscience connectée tout en reconnaissant la présence du moi. Le moine bouddhiste tibétain Chogyam Trungpa a qualifié cette perception simultanée de « raison d’être élémentaire« .

Pour Trungpa, les perceptions élargies des formes alternatives de conscience ne représentaient pas un avantage particulier, mais plutôt un outil à appliquer dans la vie quotidienne. Une révélation peut être palpitante au début, mais ce n’est pas le problème. Trungpa prônait le cool existentiel. Vous n’avez pas à crier sur les toits que nous formons tous un organisme interconnecté, ni à vous sentir seul quand l’égo hurle son chant d’aliénation.

Les expériences extraordinaires deviennent normales et les drames personnels deviennent ennuyeux une fois que vous percevez la farce du cerveau au travail – vous pouvez alors vraiment vous détendre. Comme Trungpa l’écrit dans son texte de 1984, Shambhala: The Sacred Path of the Warrior: « La vie est une situation comique mais elle ne se moque pas de nous ».