Ce Qu’Est Vraiment L’Expérience Psychédélique

Les témoignages d’expériences psychédéliques sur internet et dans les livres sont nombreux, écrits par des personnes qui ont approché ou carrément plongé dans ces substances allant du LSD à la psilocybine, du peyote à l’ayahuasca (de façon croissante ces derniers temps pour ce dernier). Je prends plaisir à lire ces témoignages, qui sont souvent impressionnants par la profondeur des visions et des leçons reçues et parfois aussi très émouvants parce que des vies ont été profondément changées.

Cependant, je trouve que de nombreux témoignages ne permettent pas de comprendre ce qui se passe réellement au cours de ces expériences. Bien souvent, ces témoignages se concentrent sur les aspects émotionnels et psychologiques – l’aspect « Dr Phil ». Certains auteurs fournissent des recherches scientifiques sur la façon dont ces plantes et ces substances psychotropes affectent le cerveau et le métabolisme. Certains spéculent sur les aspects spirituels ou philosophiques de ces expériences. Mais cela se produit moins souvent.

“Kundalini Rising” – Par Hakan Hisim

Le regretté Terence McKenna a sans doute été le meilleur pour en parler. McKenna a laissé un nombre incroyables d’idées sur la philosophie de la science, l’histoire, l’anthropologie, le chamanisme et d’autres disciplines liées à l’expérience psychédélique.

Mes propres expériences ont mis en lumière « ce qui se passe réellement » pendant l’expérience psychédélique, ce qui, je pense, n’est pas bien capturé par des termes comme hallucination ou même rêve lucide. Il existe en fait un vaste lexique de termes que les personnes utilisent pour décrire les expériences psychédéliques. Exemples : voyager, tripper, halluciner, visiter le monde des esprits, explorer une autre dimension, et ainsi de suite. Si ces termes font certainement allusion à ce qui se passe, j’ai l’impression qu’ils ne sont pas à la hauteur …

« Les psychédéliques ne stimulent pas l’imagination. Plutôt, l’hallucination que nous appelons réalité est interrompue, et une réalité plus profonde de conscience universelle s’infiltre. »

Par conséquent, j’offre ma propre explication, avec la mise en garde que différents psychédéliques ont des impacts légèrement différents. Le même psychédélique peut affecter une personne différemment en différentes occasions. (L’Ayahuasca, par exemple, peut faire purger une personne la première fois, puis offrir une expérience visionnaire la fois d’après). Pourtant, les expériences ont suffisamment d’éléments en commun pour que nous puissions les généraliser, au moins en partie.

Je ne veux pas m’enliser dans les dernières découvertes scientifiques, mais il vaut la peine de noter qu’une partie de la recherche sur l’expérience psychédélique est conforme à ma propre vision de ce qui se passe. Contrairement à l’hypothèse selon laquelle ces substances stimuleraient le cortex frontal du cerveau, les études montrent qu’elles limitent plutôt la circulation sanguine dans cette région qui héberge ce que l’écrivain Graham Hancock appelle la partie « d’état d’alerte et de résolution des problèmes ».

Il semble qu’en plus d’être le foyer des processus de pensée rationnelle, le cortex frontal a un rôle de restriction et de filtrage des vastes quantités d’informations que le reste du cerveau reçoit tout le temps (probablement pour que nous puissions faire face à la réalité ordinaire dans nos vies où nous devons constamment résoudre des problèmes).

Bien que les léopards aux yeux bleus ne soient pas inhabituels, cette image a été retouchée numériquement.

La question qui se pose alors est la suivante : Quelle est cette information ? D’où vient-elle ? Est-elle « réelle » (quoi que cela puisse vouloir dire) ?

J’ai des réponses compliquées à ces questions, mais la plus simple que je puisse trouver va dans le sens de ce que j’ai dit à une amie récemment quand elle a posé les mêmes questions : Les psychédéliques offrent une expérience de la réalité ultime.

L’expérience psychédélique n’est pas une simple hallucination – j’y tiens tellement que je ne qualifie jamais les plantes ou les substances « d’hallucinogènes », comme je n’emploie jamais le terme « drogue », trop connoté péjorativement.

Plutôt, je suggère que lorsque les psychédéliques sont consommés, la vision limitée de la réalité qu’un cerveau humain synthétise en permanence se dissout. Alors une vision de la réalité plus complète des choses – normalement cachée – apparaît dans le royaume de la conscience. Dans cette interprétation, le psychédélique ne stimule pas l’imagination; au contraire, l’hallucination que nous appelons normalement réalité est interrompue, et une réalité plus profonde de conscience universelle s’infiltre.

Cette vision est cohérente avec l’idée bouddhiste et hindoue qui voit chacun de nous (et toutes créatures vivantes) comme Shiva jouant à un cache-cache cosmique, s’oubliant tellement qu’il en oublie que c’est un jeu. Les bouddhistes affirment couramment que nous sommes tous des manifestations de l’univers à travers lesquelles il se vit (en tant que toi, que moi, qu’un papillon, qu’un poisson, et ainsi de suite). Le paradoxe, c’est que l’univers est fait de conscience – de conscience non locale : un vaste océan de créativité et d’inventions incessantes.

« C’est le royaume hermétique de la psychopompe, de l’illusionniste, de l’habitant du crépuscule et de l’ombre, à mi-chemin entre les terres des vivants et des morts. »

La consommation de psychédéliques interrompt la conscience ordinaire et sa chaîne de fabrication de la réalité. Pendant un bref instant, nous apercevons (et/ou entendons ou expérimentons) la réalité fondamentale. Plus précisément, nous redevenons ce que nous sommes vraiment (la conscience universelle) sans l’illusion de la séparation, du singulier, du local.

C’est pourquoi les consommateurs de psychédéliques décrivent régulièrement le sentiment d’être « en harmonie avec tout » et affirment également que ce qu’ils voient est plus réel que le soi-disant monde réel. C’est l’une des grandes surprises des composés actifs des champignons et de l’ayahuasca : là où l’on pourrait s’attendre à un paysage de rêve absurde, la psilocybine et la diméthyltryptamine introduisent souvent l’esprit à de puissants domaines organisés d’information.

Il est tentant de dire qu’après une expérience avec l’ayahuasca (par exemple), on a accédé à une autre dimension. Je pense que c’est normal, mais je résiste à l’idée de penser que cette dimension fait partie d’un autre monde. Au contraire, je crois que c’est une autre dimension de ce monde. En fait, c’est une dimension de ce monde qui crée cette dimension : les deux (ou trois, ou dix) dimensions sont inextricablement liées. Chaque fois que je voyage (avec ou sans substances), j’ai souvent la sensation d’être témoin de la naissance de ce monde. Parfois, c’est comme une visite des coulisses où j’apprends les secrets du magicien.

“Paysage bioméchanique”. Peinture de H.R. Giger.

Bien sûr, c’est difficile à prouver. On ne peut pas exactement revenir de cette autre dimension avec une pièce d’argent, bien que de tels événements soient racontés dans les cérémonies chamaniques. Au lieu de cela, on se contente de dire que l’expérience semblait réelle dans la mesure où on croit qu’elle était réelle, ce qui ne sera jamais convaincant pour un sceptique (du moins jusqu’à ce qu’il essaie lui-même).

C’est le royaume hermétique de la psychopompe, de l’illusionniste, de l’habitant du crépuscule et de l’ombre, à mi-chemin entre les terres des vivants et des morts. C’est une maison des miroirs qui trahit sans cesse ses premières impressions, approfondissant le sens de la réalité tout en bouleversant les révélations du niveau précédent.

Une de mes premières cérémonies avec l’ayahuasca, dans un centre spirituel au Pérou, en est un bon exemple. J’ai erré dehors pour me rendre aux toilettes, qui étaient dans un des nombreuses pièces d’un immeuble en béton. La pièce avait un sol en béton et des murs en béton, et n’était éclairé que par une seule bougie. Plus utilitaire, tu meurs.

« Si je peux faire en sorte qu’un sol en béton vous apparaisse comme de la glace, avec une rivière qui coule en dessous, je peux convaincre votre esprit de tout et n’importe quoi, n’est-ce pas ? »

Pendant que je m’asseyais sur les toilettes, le sol taché – la logique me disait qu’il était fait de béton – s’est transformé en glace, semi-transparente, avec des créatures et des formes végétales se déplaçant en dessous comme si la glace s’était formée sur une rivière en mouvement. Je pouvais voir l’eau se déplacer sous la glace, et je pouvais voir d’épaisses fissures qui se déplaçaient dans une perspective tridimensionnelle parfaite lorsque j’inclinais ma tête de telle ou telle façon.

Peinture de l’artiste Seelen Flug.

Au bout d’un moment, je me suis rendu compte qu’il valait mieux que je termine rapidement et que je sorte de là, au cas où la glace se fissurerait et que quelque chose sauterait, ou au cas où je tomberais en essayant d’aller des toilettes jusqu’à la porte. (L’illusion était si convaincante que j’ai vraiment eu ces pensées !)

Puis je me suis souvenu des instructions du chamane : Ne vous contentez pas de succomber à la vision – demandez-vous toujours : « Quelle est la leçon ? »

J’ai réfléchi pendant un moment, puis cela m’a frappé, et ce qui s’est passé est devenu l’un des plus grands enseignements de Mère Ayahuasca pendant cette expérience: « Si je peux faire en sorte qu’un sol en béton vous apparaisse comme de la glace, avec une rivière qui coule en dessous, je peux convaincre votre esprit de tout et n’importe quoi, n’est-ce pas ? » semblait dire l’ayahuasca (de façon non-verbale, bien sûr). J’ai réalisé à ce moment-là que tout était une hallucination synthétisée par mon propre esprit – un concept qui concorde avec la physique quantique moderne et de nombreuses expériences reproductibles, comme celle de la gomme quantique avec choix causalement déconnecté.

Si cela avait été une histoire (comme celle que vous êtes en train de lire), je n’aurais jamais été entièrement convaincu. Cela n’aurait été qu’un concept de science-fiction cool, comme dans la trilogie Matrix.

Mais parce que je l’ai vécu directement, alors que je me sentais par ailleurs assez sobre, j’ai appris comment mon esprit fonctionnait et comment la réalité est créée (ou ce que nous appelons réalité). Donc voilà : pour moi l’explication de l’expérience psychédélique est que ce n’est rien de moins qu’une rencontre avec la réalité, à l’opposé de ce que les non-initiés supposent. Ironiquement, les descriptions des expériences de cette réalité sont perçues par les non-initiés comme des rêves, des hallucinations. Pourtant, ce sont eux qui restent piégés dans la prison d’un monde holographique et inconscients parce qu’ils n’en sont jamais sortis, ou qu’ils n’ont jamais regardé au-delà des murs de la prison.

Le plus étrange de tout, c’est qu’au fil du temps, j’ai réalisé que les expériences psychédéliques ne me faisaient pas me réveiller, moi, Guy Crittenden. Plutôt, les psychédéliques ont fait que l’univers s’est réveillé de son rêve d’être moi.

 

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Article original : Guy Crittenden /chacruna.net