Comment ces substances psychotropes fonctionnent-elles dans le cerveau pour produire une réduction rapide des symptômes et des améliorations durables pour divers troubles de santé mentale ? C’est une des questions fréquemment posées au sujet de la récente vague de recherche psychédélique. Au-delà de quelques hypothèses scientifiquement fondées et de la pure spéculation, nous n’avons pas eu assez de preuves expérimentales sur les psychédéliques pour faire de grandes déclarations sur les mécanismes responsables de la réaction thérapeutique. La MDMA et la psilocybine, qui ont donné des résultats prometteurs dans les essais cliniques, sont deux substances très différentes du point de vue de la sensation et de l’action dans le cerveau.
Est-il possible qu’il existe un mécanisme commun dans le cerveau qui expliquerait les effets thérapeutiques de tous les psychédéliques ?
De nouvelles découvertes publiées par Ly et al. dans la prestigieuse revue scientifique Cell Reports sont les premières à montrer que les psychédéliques classiques (DMT, LSD, psilocine), les analogues de l’amphétamine (MDMA, DOI) et l’ibogaïne convergent tous vers une cible (mTor) dans le cerveau pour stimuler la neuroplasticité[1]. Il s’agit d’un résultat remarquable parce que la dépression et les troubles liés au stress, par exemple le SSPT, peuvent causer une perte de connectivité synaptique – la principale façon pour les neurones et les cellules de soutien de communiquer [2, 3]. Les chercheurs ont montré que lorsque les neurones corticaux des rongeurs étaient placés dans une boîte de Petri avec chacune des substances mentionnées ci-dessus, le nombre et la complexité des branches et des cellules dendritiques augmentaient considérablement, ce qui signifie que les neurones changeaient leur structure pour établir de nouvelles connexions. Cela peut faire penser à un arbre saupoudré d’engrais naturel qui provoquerait le bourgeonnement de nouvelles branches et feuilles pour soutenir le fonctionnement optimal de l’ensemble du système. L’inversion de la perte synaptique est également observée avec la kétamine et les antidépresseurs, et on pense que ces derniers réduiraient les symptômes de dépression [4, 5].
Le groupe de recherche de l’Université de Californie a ensuite montré que les propriétés de ces substances favorisant la croissance neuronale se produisaient dans le cerveau d’un rongeur, et pas seulement dans des cultures cellulaires. La DMT injectée dans le cortex préfrontal de rats, une région du cerveau qui présente une perte de neurones chez les patients atteints de maladies neuropsychiatriques, a induit une croissance des épines dendritiques comparable à celle de la kétamine. La série d’expériences rigoureusement contrôlées démontre que ces substances convergent en fait sur une voie de signalisation spécifique (BDNF – TrkB – mTOR) connue pour être impliquée dans la plasticité structurelle, et les effets sont conservés à la fois chez les rongeurs et les mouches des fruits. Comme cela a déjà été documenté [6, 7], les substances augmentent le facteur neurotrophique issu du cerveau (BDNF) soit par le système sérotoninergique, soit en augmentant les niveaux de glutamate, et maintenant cette nouvelle preuve montre comment le cerveau est modifié structurellement et fonctionnellement pour produire des effets antidépresseurs à action rapide.
La neuroplasticité, et la germination de nouvelles épines dendritiques, est la base d’un nouvel apprentissage.
Les substances qui peuvent favoriser l’acquisition de nouveaux comportements et de nouvelles façons de penser sont bénéfiques pour traiter les troubles de santé mentale et peuvent atténuer les boucles négatives répétitives de pensées et permettre un changement de comportement positif. Ces expériences démontrent des neuroadaptations stimulées par de nombreux psychédéliques différents qui suivent une chronologie similaire à l’apparition rapide d’effets thérapeutiques, avec des améliorations durables même après que la substance a quitté le corps. Les auteurs ont inventé un nouveau terme pour décrire ces composés apparentés, qui pourraient devenir en vogue si ces mécanismes sous-jacents s’avéraient identiques chez l’humain. « Pour classer le nombre croissant de composés capables de promouvoir rapidement la plasticité, nous introduisons le terme « psychoplastogène », à partir des racines grecques psych- (esprit), -plast (moulé), et -gen (production) »[1].
Aussi passionnants que soient ces résultats, nous devons cependant être prudents lorsque nous extrapolons les résultats des rongeurs et des mouches aux humains. Peu de recherches ont été ménées sur les humains avec des techniques de psychédélique et de neuro-imagerie. On en sait plus sur la kétamine, dont il a été démontré qu’elle inversait les troubles de la connectivité fonctionnelle chez les patients atteints d’un trouble dépressif majeur [8]. Pourrait-il en être de même pour les autres psychédéliques ? L’étude publiée dans Cell Reports n’aborde pas non plus la composante de la thérapie utilisée dans les essais de thérapie psychédélique assistée chez l’humain. Cependant, si les réseaux neuronaux sont préparés au changement ou à un nouvel apprentissage, le traitement autogéré ou dirigé par un thérapeute des souvenirs émotionnels pourrait éventuellement guider les adaptations neuronales dans une direction qui favoriserait un changement de comportement positif. Les résultats durables de la psychothérapie assistée par la MDMA, par exemple, suggèrent que les circuits cérébraux ont été modifiés d’une certaine façon [9].
Cette étude rigoureuse et bien conçue est particulièrement remarquable à l’heure actuelle parce que de nombreux scientifiques et médecins sont encore sceptiques quant aux effets majeurs des psychédéliques démontrés lors d’essais cliniques récents. En comprenant les mécanismes neurobiologiques, la croyance au potentiel thérapeutique de ces substances est susceptible de se propager rapidement.
- Ly, C. Greb, AC, Cameron, P, Wong, JM, et al. “Psychedelics Promote Structural and Functional Neural Plasticity.” Cell Reports 23 (2018): 3170-3182.
- Arnsten, Amy FT. “Stress signalling pathways that impair prefrontal cortex structure and function.” Nature Reviews Neuroscience10, no. 6 (2009): 410.
- Christoffel, Daniel J., Sam A. Golden, and Scott J. Russo. “Structural and synaptic plasticity in stress-related disorders.” Reviews in the neurosciences22, no. 5 (2011): 535-549.
- Browne, Caroline Ann, and Irwin Lucki. “Antidepressant effects of ketamine: mechanisms underlying fast-acting novel antidepressants.” Frontiers in pharmacology4 (2013): 161.
- Li, Nanxin, Boyoung Lee, Rong-Jian Liu, Mounira Banasr, Jason M. Dwyer, Masaaki Iwata, Xiao-Yuan Li, George Aghajanian, and Ronald S. Duman. “mTOR-dependent synapse formation underlies the rapid antidepressant effects of NMDA antagonists.” Science329, no. 5994 (2010): 959-964.
- Nichols, Charles D., and Elaine Sanders-Bush. “A single dose of lysergic acid diethylamide influences gene expression patterns within the mammalian brain.” Neuropsychopharmacology26, no. 5 (2002): 634.
- Young, M. B., R. Andero, K. J. Ressler, and L. L. Howell. “3, 4-Methylenedioxymethamphetamine facilitates fear extinction learning.” Translational psychiatry5, no. 9 (2015): e634.
- Abdallah, Chadi G., Lynnette A. Averill, Katherine A. Collins, Paul Geha, Jaclyn Schwartz, Christopher Averill, Kaitlin E. DeWilde et al. “Ketamine treatment and global brain connectivity in major depression.” Neuropsychopharmacology42, no. 6 (2017): 1210.
- Mithoefer, M. C., M. T. Wagner, A. T. Mithoefer, L. Jerome, S. F. Martin, and B. Yazar-Klosinski. “Durability of improvement in PTSD symptoms and absence of harmful effects or drug dependency after MDMA-assisted psychotherapy: A prospective long-term follow-up study.” J Psychopharmacol27, no. 1 (2013): 28-39.