Ce n’est un secret pour personne, le LSD provoque des états de conscience altérés, un sentiment d’unité avec l’univers, de vives visions et une foule d’autres effets psychédéliques. Mais depuis qu’Albert Hoffman a découvert ce composé chimique en 1938, les scientifiques tentent de comprendre comment il exerce ces effets bouleversants sur le cerveau. Une étude sur le LSD publiée lundi dans le PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) fournit d’autres preuves à l’appui d’une théorie suggérant que le cerveau sous l’effet du LSD se met dans un tel état en raison d’une surcharge sensorielle.
Le cerveau ne peut pas traiter toutes les informations sensorielles du monde extérieur qu’il reçoit. Parfois, ces stimuli sont redondants, d’autres fois, ils ne sont tout simplement pas utiles. Le « filtre » clé de toute cette information est une boule de neurones au milieu du cerveau appelée thalamus. Lorsqu’il fonctionne correctement, le thalamus élimine les informations inutiles pour que le cerveau ne soit pas surchargé, un peu comme les algorithmes de Twitter qui essaient de présenter uniquement les tweets que vous voulez lire.
« La plupart des impressions sensorielles sont acheminées par le thalamus, qui agit comme un gardien, déterminant ce qui est pertinent ou non et où ces signaux doivent aller », a expliqué Andrew Sewell, psychiatre à Yale et chercheur sur le LSD, à LiveScience. Sewell n’a pas participé à la nouvelle étude.
Mais le LSD et d’autres psychédéliques modifient la capacité du thalamus à faire tout ce filtrage (les neuroscientifiques l’appellent « filtrage sensoriel »), selon la théorie proposée par le docteur Mark A. Geyer, et le docteur Franz X. Vollenweider en 2008. Si le thalamus ne peut pas remplir ses fonctions de barrière, le cerveau doit soudainement faire face à beaucoup plus de stimuli et entre en surcharge. Nous ressentons ce flot d’informations comme une expérience psychédélique (peut-être analogue au sentiment de surcharge sur Twitter).
La nouvelle étude du PNAS, dirigée par la docteure Katrin H. Preller de l’Hôpital universitaire de psychiatrie de Zurich en collaboration avec Vollenweider, plonge dans les profondeurs du cerveau pour montrer comment le LSD exerce son effet sur le thalamus. Puisque, à leur apogée, les expériences avec le LSD partagent des caractéristiques similaires avec des problèmes psychiatriques comme la dépression et la schizophrénie. Comprendre comment cette molécule fonctionne pourrait aider les scientifiques à traiter ces troubles.
Le LSD a des effets bien connus sur la sérotonine, un neurotransmetteur impliqué dans le mode d’action de nombreux autres psychédéliques. La sérotonine jouerait également un rôle clé dans la capacité du thalamus à filtrer les informations pendant une expérience avec du LSD, provoquant « une surcharge du cortex ». Preller et son équipe ont donc étudié ce qui se passerait s’ils donnaient du LSD tout en bloquant les récepteurs sérotoninergiques de leurs patients.
Quelques-uns des 24 participants ont reçu du LSD et un médicament appelé kétansérine, un inhibiteur des récepteurs de la sérotonine. Et bien sûr, lorsqu’ils ont rempli le questionnaire 5-Dimensions Altered States of Consciousness pour découvrir qui avait vécu une expérience psychédélique, ils ont constaté que « tous les effets du LSD étaient bloqués par la kétansérine. Ils ont démontré également que le LSD perturbait un important circuit de régions du cerveau. L’activité sérotoninergique altérée réduit l’influence du striatum sur le thalamus, qui à son tour ouvre le filtre thalamique à une partie spécifique du cortex appelée PCC (cingulate cortex postérieur). Le CCP jouera sûrement un rôle important dans la recherche psychédélique future.
« En particulier, les résultats actuels mettent en évidence le rôle du lien thalamus-CCP dans les effets des psychédéliques, » écrivent-ils.
Bien que le thalamus et le CCP paraissent être des zones importantes sur lesquelles se concentrer, d’autres études ont révélé les effets du LSD sur plusieurs parties du cerveau interconnectées. En 2018, des scientifiques espagnols ont montré que le LSD « réinitialisait » les connexions existantes du cerveau, offrant la possibilité de traiter des troubles persistants comme la dépression, la dépendance et le SSPT. La même année, des chercheurs de l’Université de Californie à Davis ont montré que les neurones traités avec du LSD possédaient plus de « branches » pour se connecter aux cellules voisines.
En attendant de mieux comprendre le LSD, méditez là-dessus : Les personnes qui consomment du LSD déclarent ressentir un plus grand sentiment de connectivité vis-à-vis de l’univers, de la même façon, les neurones du cerveau sous l’influence des psychédéliques sont de plus en plus connectés, eux aussi.
Résumé : Les psychédéliques agissent de façon unique sur la conscience humaine. Le modèle du filtre thalamique suggère que les effets fondamentaux des psychédéliques peuvent résulter de déficits de filtre, basés sur une désintégration du traitement de l’information dans les boucles de rétroaction cortico-striato-thalamo-cortical (CSTC). Pour vérifier cette hypothèse, nous avons caractérisé les changements dans la connectivité dirigée (effective) entre certaines régions du CTSC après l’administration aiguë de diéthylamide d’acide lysergique (LSD) et après un prétraitement avec la kétansérine (un antagoniste sélectif du récepteur de la sérotonine 2A) plus le LSD dans une étude à double insu, aléatoire, contrôlée par placebo et croisée chez 25 participants sains. Nous avons utilisé la modélisation dynamique causale spectrale (MCD) pour les données IRMf à l’état de repos. Des modèles DCM entièrement connectés ont été spécifiés pour chaque condition de traitement afin d’étudier la connectivité entre les zones suivantes : thalamus, striatum ventral, cortex cingulaire postérieur, et cortex temporal. Nos résultats confirment les principales prédictions proposées dans le modèle du CSTC et fournissent la preuve que le LSD modifie la connectivité effective au sein des voies du CSTC qui ont été impliquées dans la transmission de l’information sensorielle et sensorimotrice vers le cortex. En particulier, le LSD a augmenté la connectivité effective du thalamus vers le cortex cingulaire postérieur d’une manière qui dépendait de l’activation des récepteurs de la sérotonine 2A, et diminué la connectivité effective du striatum ventral vers le thalamus indépendamment de l’activation du récepteur de la sérotonine 2A. Ensemble, ces résultats font progresser notre compréhension mécaniste de l’action des psychédéliques sur la santé et la maladie. Ceci est important pour le développement de nouveaux traitements pharmacologiques et nous permet également de mieux comprendre les mécanismes qui sous-tendent l’efficacité clinique potentielle des psychédéliques.