Nos cerveaux, avec leur tendance intrinsèque à la segmentation, sont conçus pour basculer vers un contrôle excessif. Les psychédéliques détruisent tout ça et nous pouvons en tirer des leçons.
J’étais à San Francisco la semaine dernière, je rendais visite à mon frère et je me remémorais les années que nous y avons passées en tant que jeunes hommes. Nous avons traversé le parc de Golden Gate, deux gars dans la soixantaine, admirant les séquoias géants, les jardins exotiques et les pâturages verdoyants en cascade vers l’ouest jusqu’à l’océan. Nous nous souvenons de notre voyage épique sous acide en 1969, à cet endroit même, lorsque nous étions prêts pour l’aventure et la découverte de nous-mêmes.
Nous étions quatre. On a tous avalé nos petits buvards violets: « Bon atterrissage, les gars ! » Puis on a commencé à marcher vers l’ouest à travers le parc. Environ une demi-heure plus tard, nous avons ressentis des poussées d’énergie dans nos estomacs, l’anticipation de quelque chose d’énorme sur le point de se produire, l’excitation et la peur comme si nous approchions d’une cascade inconnue. Le parc était si beau. Le chant des oiseaux était partout, plus nuancé que je ne l’avais jamais remarqué.
Et puis le monde s’est transformé. Les motifs des branches, l’odeur de l’eucalyptus, le tumulte des gens, les aboiements des chiens, les oiseaux qui gazouillent, se mêlent et se désintègrent en même temps. Mon sens du « moi » s’étendait, repoussant les limites de ma perception comme un bouquet en déploiement. J’ai perdu la trace de qui j’étais, où j’étais, où je m’arrêtais et où le mot extérieur commençait… et puis tout ce qui se désintégrait, se reconvertissait et se recomposait s’est effondré en une unité sonore, le drone assourdissant d’un univers tout à fait paisible.
Le LSD était effrayant, beau et incompréhensible, bouleversant – on pourrait dire « éducatif » avec un sourire ironique – pour les non-initiés. Mais pas seulement. Avec d’autres substances psychédéliques, le LSD a façonné notre sous-culture et est devenu le symbole d’un temps et d’un lieu uniques. C’était le phare d’un groupe d’enfants désireux de découvrir quelque chose de vrai et d’universel masqué sous les absurdités politiques et sociales de la société dominante, Nixon, la guerre du Vietnam et tout le reste.
Ce que nous avons cherché dans le LSD, c’est ce que les humains ont toujours cherché – du sens caché derrière la stupidité passagère des luttes humaines qui ne mènent nulle part. Ce que nous recherchions, c’était l’illumination que le Bouddha aspirait à nous montrer, et qui depuis des milliers d’années était resté si insaisissable.
Était-ce de la folie idéaliste, la fièvre de la drogue ? Avons-nous eu la tête dans les fesses, imaginant la beauté ultime parce que nous étions totalement dans le noir, si habilement narcissiques, si peu inspirés par les défis que nos parents et nos figures de proue voulaient nous voir affronter ?
« Le boson Higgs des neurosciences »
Quand je suis rentré chez moi, il y a trois jours, deux études neuroscientifiques venaient tout juste d’être publiées dans deux revues simultanément, prétendant montrer exactement ce qui se passait dans le cerveau quand les gens prenaient du LSD. En l’espace de deux jours, ces résultats sont passés des revues scientifiques aux journaux et aux médias du monde entier, y compris le Guardian. Un des auteurs principaux de l’ouvrage, David Nutt, un neuropharmacologue respecté, a déclaré: « C’est à la neuroscience ce que le boson de Higgs était à la physique des particules. »
Même si cela risque d’aggraver son cas, nous pouvons pardonner à Nutt son enthousiasme: les résultats sont en effet extraordinaires. Des volontaires en bonne santé ont reçu des injections de LSD pendant qu’ils étaient allongés dans un scanner IRM. Ils ont été soumis à plusieurs autres méthodes de neuroimagerie en même temps. Un arsenal d’outils de mesures dont les chercheurs psychédéliques des décennies précédentes ne pouvaient que rêver. Ce n’était pas le parc Golden Gate, c’est sûr, mais couchés dans cette chambre magnétique, les yeux fermés et le cerveau ouvert, avec des flots de nombres débordant de leurs lobes vers des fichiers de données bientôt traduits en images, ces individus ont vu les hallucinations complexes du LSD se dérouler derrière leurs paupières. Et en même temps, ils ont rapporté des expériences de « dissolution de l’ego » très semblables à celles que nous avions vécues dans le parc.
Ce qu’il y a de plus remarquable dans la recherche, c’est que le degré de dissolution de l’ego rapporté par les participants était en corrélation avec une transformation neuronale spécifique. Pour passer à travers le pragmatisme de la vie quotidienne et les exigences de la survie, l’activité cérébrale se différencie naturellement en plusieurs réseaux distincts, chacun responsable d’une fonction cognitive particulière.
Les trois réseaux les plus étroitement examinés par les scientifiques comprennent un réseau qui gère ce qui est le plus important, un réseau qui concerne la résolution de problèmes et un autre réseau qui gère les réflexions sur le passé et l’avenir. Il existe également une ségrégation naturelle entre les zones cognitives de haut niveau (abstraites) et les zones perceptuelles de bas niveau (concrètes), notamment au niveau du cortex visuel. Ces distinctions sont considérées comme une caractéristique essentielle de la conception d’un cerveau humain fonctionnel.
Le LSD a eu pour impact de diminuer les connexions à l’intérieur de chacun de ces réseaux, en assouplissant les liens qui les maintenaient intacts et distincts, tout en augmentant le dialogue entre eux. En d’autres termes, le protocole normale du cerveau exige une ségrégation entre les réseaux qui ont des fonctions différentes, et ce protocole a été ébranlé.
Désormais, la plupart des parties du cerveau communiquaient avec la plupart des autres parties du cerveau. Les expériences sensorielles concrètes, comme la vision, entremêlées à l’abstraction cognitive ont remodelé l’imagerie visuelle. C’est peut-être ce qui explique les complexités fractales que les gens perçoivent dans les branches d’un buisson sous l’effet du LSD. La perception de la saveur et le raffinement d’un sentiment de soi sont mélangés comme des pommes de terre et de la sauce. Les cerveaux et leurs propriétaires ne font plus la distinction entre ce qui est le plus important, comment faire les choses, et qui est l’arbitre de l’importance de ce qui doit être fait.
Religion et psychédéliques
Il y a quelques milliers d’années, le Bouddha définissait la personnalité humaine comme le cycle récursif des habitudes – les habitudes d’acquisition, de désir et de possession. Ils conduisirent à la poursuite de plaisirs qui finissent pas s’estomper et à l’évitement de souffrances qui ne pouvaient être évitées dans un cycle de vie, de vieillissement et de mort. En réponse, ses partisans ont choisi l’ascétisme, la pratique du surcontrôle. Les moines bouddhistes qui s’étaient dépouillés de tout confort et les sâdhus hindous avec leurs rituels d’auto-mortification ont développé de nouvelles religions.
Il y eut des listes interminables d’édits que les juifs, les musulmans et les chrétiens s’imposent encore: ce qu’on n’avait pas le droit de faire, à quels jours, avec quelles conséquences si on échouait. Nos tentatives de nous affranchir des habitudes, de l’universalité de la coutume locale, de la vérité de l’illusion, se sont généralement traduites par un ensemble de règles visant à accroître le contrôle, à diviser et à séparer, à façonner les hiérarchies et à obéir aux codes.
Il semble que nos cerveaux, avec leur tendance intrinsèque à analyser et à séparer, étaient bien conçus pour s’orienter vers un contrôle excessif en réponse aux difficultés de l’existence. Ou, plus précisément, nous n’avons pas échappé à notre tendance au contrôle excessif parce que simplement c’est un principe clé de la conception du cerveau.
Mais la nature nous a donné un antidote différent face à l’isolement et à l’inutilité. Le LSD a été créé dans un laboratoire en Suisse dans les années 1930. Mais d’autres produits chimiques ayant les mêmes propriétés psychédéliques demeurent aussi dans la chair des cactus dans toute l’Amérique du Nord (méscaline), dans les champignons présents dans une grande partie de l’hémisphère nord (psilocybine) et dans les vignes de l’Amazonie (DMT-ayahuasca). Ces produits chimiques évolué de façon naturelle permettent de détruire les verrous que nos cerveaux construisent pour nous maintenir sur une ligne droite et étroite, poursuivant ainsi des victoires éphémères après des échecs inévitables.
Les humains rassemble, cultive, distille et fabrique toutes sortes de substances depuis des milliers d’années. Certaines d’entre elles soulagent la douleur et apportent du confort. D’autres fournissent l’énergie dont nous avons parfois besoin pour accomplir nos tâches. Et notre vieil ami alcool nous aide à nous détendre et à nous amuser. Mais les psychédéliques ne contribuent en rien à notre fonctionnement quotidien. Nous nous en servons plutôt pour avoir une vue d’ensemble, pour nous connecter à une réalité qui est difficile à voir en utilisant nos cerveaux fonctionnant normalement. Nous sommes littéralement étroits d’esprit la plupart du temps. Et bien que la méditation et la pleine conscience nous poussent vers l’ouverture, l’acceptation et l’abandon de notre ego, les humains continuent à se tourner vers les psychédéliques pour nous éveiller aux possibilités d’une perspective universelle.
Toutes les drogues ne sont pas égales, et je n’encouragerais jamais quiconque à soulager son inconfort existentiel avec l’héroïne ou l’amphétamine, deux drogues que j’ai prises. Mais les psychédéliques ont une valeur que je ne peux m’empêcher d’admirer. Et maintenant, nous comprenons mieux comment elles font ce qu’elles font. Un simple code déverrouille les portes de notre cerveau, des portes qui agissent normalement comme des murs.
J’espère que ces découvertes dissiperont juste assez de mystère pour nous encourager à continuer d’explorer.