L’Expérience De La DMT Et Les Mystères Du Voyage Dans L’Hyperespace

Connue pour produire des changements profonds dans la perception sensorielle, l’humeur et la pensée, la DMT est généralement fumé en utilisant des méthodes de vaporisation des cristaux, ou mélangé avec d’autres herbes, comme dans le « changa »1. Qu’il s’agisse de voyages à travers des univers parallèles, d’odyssées dans d’autres dimensions ou de voyages aux antipodes psychiques, les vicissitudes du voyage sont implicites à « l’hyperespace » de la DMT, dans lequel la rentrée soudaine est souvent perçu comme une expérience de « percée ». Tels des voyageurs de retour d’expédition, les « psychonautes » qui connaissent bien cette expérience rapportent une sensation de passage dans un « espace » qui peut être étonnamment étranger ou étrangement familier, et qui possède une profonde qualité de réalité ou de réalisme.

Bien que l’expérience soit relativement brève, il n’est pas rare que l’on ressente une impression de temps rallongé. Les distorsions dans l’espace et le temps, les motifs géométriques complexes, les couleurs intenses, les sources de lumière énergiques et les rencontres avec des entités désincarnées sont autant de particularités qui caractérisent cet espace visionnaire. Les utilisateurs font également état d’une variété de résultats découlant de ce qui semble être une expérience profondément transpersonnelle: la transe sous l’effet de la DMT peut être dérangeante ou exaltante, elle peut donner lieu à des angoisses, induire un état de grâce, permettre de remettre en question son système de croyances, inspirer une réévaluation de ses motivations ou susciter un sentiment de responsabilité.

En tant qu’expérience transpersonnelle, la percée dans le monde de la DMT pourrait facilement obtenir le statut d’ « expérience humaine exceptionnelle » (EHE). Autrement dit, cette expérience est capable de transformer l’identité ou la vision du monde. Pour suivre la pensée de Stanley Krippner2, la DMT pourrait justifier cette affirmation si une réalisation conséquente du plein potentiel humain de l’expérimentateur n’est pas, en même temps, nuisible aux autres. En tant qu’événement de passage virtuel, l’expérience de « percée » est généralement perçue comme une forme d’initiation, les utilisateurs se comportant souvent comme des initiés. Les personnes ayant vécus ces expériences transpersonnelles reviennent avec des histoires qu’il racontent à d’autres utilisateurs lors de rassemblements privés ou d’espaces de camping lors de festivals de danse, ou par le biais de récits en ligne racontant les aventures de « SWIM » (Someone Who Isn’ t Me / Quelqu’un qui n’est pas moi) sur des forums Web.

En tant que récits d’expériences de transition, en tant que récits de passage, les récits d’expérience ont souvent la rhétorique de l’initiation, des risques pris et des épreuves endurées et surmontées. Ils évoquent des voyages héroïques, avec des enthousiastes qui racontent généralement des passages à travers des épisodes de choc et d’émerveillement, de crainte et de félicité, de peur et d’amour. De nombreux défenseurs, y compris ceux qui n’ont eu qu’une seule éxpérience avec la DMT, transmettent leur exposition à un événement ou à une série d’événements, remettant en question le précepte selon lequel la conscience serait localisée dans le cerveau. C’était le cas, par exemple, du musicien Devin James Fry, qui a été inspiré pour écrire la chanson « I Touch My Face in Hyperspace Oh Yeah ». Fry disait : « C’est comme voir le code source de l’univers: une rivière de mandalas vibrants, des formes géométriques qui se déplacent et bougent. Cette nuit-là, je l’ai fait. Il n’ y avait plus de séparation, j’en faisais partie. J’étais certain que la conscience était un événement non local … C’est plutôt comme si nous étions des antennes qui diffusaient quelque chose pour la durée de notre séjour dans ces corps « . 3

Quel que soit le résultat, il ressort clairement des symboles archétypaux – par exemple des portes, des portails, des tunnels, des trous, des fenêtres – qui imprègnent l’expérience, et dans les œuvres d’art, les chansons et d’autres représentations, l’expérience de la DMT est imprégnée d’un potentiel mystérieux. Parfois dépeints en vortex en spirale, d’autres fois en des arcs fabuleux qui vibrent dans des couleurs qui n’appartiennent pas à ce monde, d’autres fois en  polytopes hyperdimensionnels de tesselles rotatives, ou en tourbillons fractals en damier imprégnés d’innombrables sigles arcaniques, les seuils étant propres à l’expérience de la DMT et à son art.

Parmi les symboles  les plus communs dans l’expérience de percée sous l’effet de la DMT figure ce que beaucoup ont identifié comme « l’effet chrysanthème ». Pour Terence McKenna, le « chrysanthème » est apparu sous la forme d’un brocart chinois qui, dépendamment de la dose consommé, se dissipait ou se dissolvait. McKenna ajoutait à sa description « un bruit qui ressemble à celui d’un emballage plastique de baguette de pain froissé et jeté… et puis il y a un sentiment défini de percer à travers quelque chose, comme une membrane « .

En faisant la promotion des effets de la DMT dans les années 1980 et 1990 lors d’interventions publiques, surtout aux États-Unis et au Royaume-Uni, McKenna est devenu le principal commentateur de ce moment foudroyant, sa voix devenant la plus souvent samplée que n’importe qui d’autre, dans le domaine de l’électronica psychédélique4. Ici McKenna démontre encore qu’il reste une figure d’autorité: « Et puis, ces couleurs commencent à faire la course ensemble et à former un mandala… une chose qui tourne lentement, que j’appelle ‘le chrysanthème’. C’est un endroit dans le voyage que vous voulez voir en étant devant. Le chrysanthème se forme et vous le regardez pendant 15 secondes. S’il ne se dissout pas, alors vous n’en avez pas pris assez. Vous devez en prendre plus, une autre bouffée5.”

Dans la représentation du transit dans la vidéo ci-dessus, les producteurs de médias visuels Martin Stebbing et Toke Kim Klinke, utilisent la voix de McKenna: « Il y a un énorme enthousiasme qui monte à mesure que vous traversez cette membrane ». « L’enthousiasme » auquel McKenna donna voix appartenait aux désormais tristement célèbres « elfes-machines de l’hyperespace », entités rencontrées pour la première fois à Berkeley, en Californie, à l’automne 1965. Pour McKenna, ces êtres étaient les archétypes clownesques de l’expérience de la DMT, qu’il déclarait défier toutes catégories, en étant indicible, non euclidien et grotesque6. Bien que les points de vue de McKenna aient été influents, il existe de grandes variations dans les expériences rapportées parmi une communauté d’utilisateurs de la DMT et de substances semblables. Et pourtant, l’expérience de passage reste constante. Par exemple, pour SFos, racontant un épisode du début des années 1990, quelques instants après avoir fumé de la DMT, il y avait:

Toutes sortes de modulations de fréquences et de staccato en crescendo surgissant à mesure que l’expérience se déroulait. Ces données sonores étaient associées de façon frénétique à ces eaux architectoniques oniriques et visuelles qui commençaient à émerger, à s’égoutter et à glisser entre elles. Mon être devenait submergé par une sensation d’aspiration vide et gravitationnelle qui me poussait encore plus loin. . . L’expérience d’aspiration prit alors le dessus pendant un certain temps, conduisant les acrobaties morphologiques de l’amour dans l’espace qui se trouvaient devant moi. Il y avait quelque chose dans cette sensation qui me faisait penser à une séductrice extra-terrestre voluptueuse avec de grandes lèvres grasses, me tirant à son corps dans la sensation d’une étreinte bizarre comme jamais j’avais pu ressentir. J’avais l’impression d’être barbouillé de façon sensuelle et luxurieuse autour de l’espace dans une sorte de fête foraine sous vide7.

Pour un grand nombre d’utilisateurs, l’expérience du transit sous l’effet de la DMT est consumée dans la sensation d’avoir gagné l’admission à un espace de sagesse primordiale. Bien qu’il y ait de grandes variations, cet « espace » est communément perçu comme un « dôme voûté »; la destination ultime après un passage généralement fantastique et héroïque. Parmi les volontaires de l’une des expériences de Rick Strassman sur la DMT menées au Nouveau-Mexique au début des années 1990, Marsha, une Afro-Américaine âgé de la quarantaine s’est fait injecter une forte dose de DMT, et s’est retrouvée dans « une belle structure en dôme, un Taj Mahal virtuel… Je ne sais pas ce qui s’est passé. Tout d’un coup, BAM! j’étais là. C’était la plus belle chose que j’aie jamais vue « 8

L’expérience de la DMT est un sujet textualisé et auquel il est donné une expression graphique sur le forum Internet nommé DMT-Nexus. Dans un sujet, « le dôme » est décrit ainsi: « Le plafond voûté en arcade est d’un solide rouge contre un sol gris terne. Cette zone est parfois peuplée d’entités abstraites, et parfois non. Pour les gens qui prennent de la DMT, cet espace voûté semble être considéré autant comme un « sanctuaire intérieur » (un sanctuaire et un lieu de culte) qu’un « centre de contrôle » (remplis d’instruments scientifiques et de dispositifs de surveillance) ou un « dôme-elfe » carnavalesque. Les comptes rendus confondent souvent les aspects spirituels, scientifiques et carnavalesques d’une panoptique sacrée aux proportions insondables – un lieu d’où il est possible de voir tous les lieux et toutes les époques, passées, présentes et futures.

Même si les gens qui reviennent de cet « espace » éprouvent beaucoup de difficultés pour transmettre les couleurs, les formes et les motifs, sans même parler du contenu « vu » dans ce royaume. Certains font comparativement une référence à l’intérieur du dôme de la mosquée Cheikh Lotfollah d’Ispahan en Iran, considérée comme une œuvre du génie islamique persan. Dès le premier regard posé sur cette merveille, l’historien de l’art Robert Byron a noté que la coupole du Cheikh Lotfollah était « encastrée dans un réseau de compartiments en forme de citron, dont la taille diminue à mesure qu’ils montent vers le paon formalisé à l’apex »10. Et pourtant, cette description n’offre rien sur les contours machiniques de l’espace de la DMT, tel que décrit par McKenna. « Vous êtes au centre d’une montagne ou quelque chose comme ça. Et vous êtes dans une pièce que les aficionados appellent « le dôme » et les gens se demandent: « Avez-vous vu le dôme ? Vous étiez là ? » Il est doucement éclairé, indirectement éclairé, et les murs – s’ils en sont – grouillent d’hallucinations géométriques: très colorées, très lumineuses, très irisées avec des reflets profonds et très intenses. La mosquée et le laboratoire, à leur tour, offrent peu d’informations sur les turbulences exotiques et érotiques de cet espace agité.

Références

Ilustration par Cyb

  1. St John, G. (2017). “Aussiewaska: a cultural history of changa and ayahuasca analogues in Australia.” In B. C. Labate, C. Cavnar & A. Gearin (Eds.), The world ayahuasca diaspora: Challenges and controversies. New York City, NY: Routledge.
  2. Krippner, S. (2002). “Dancing with the trickster: Notes for a transpersonal autobiography.” International Journal of Transpersonal Studies, 21(1), 1–18.
  3. Curtin, K. (2015, November 23). DMT journeys with Devin James Fry. The Austin Chronicle. Retrieved from  http://www.austinchronicle.com/daily/music/2015-11-23/dmt-journeys-with-devin-james-fry/
  4. St John, G. (2015). Mystery school in hyperspace: a cultural history of DMT. Berkeley, CA: Evolver / North Atlantic Books.
  5.  Terence McKenna sampled on “Atmospheric Refraction” by Solar Powered Beings, on PsyChill album Original Knowledge (compiled by Shoom), Mystic Sound Records (2015).
  6.  McKenna, Terence. 1994. “Rap Dancing into the 3rd Millennium.” Presented at Starwood XIV Festival, Brushwood Folklore Center, Sherman, New York, July 19–24, 1994.
  7.  SFos. (2000, June 14). The elven antics annex: An experience with DMT (ID 1841). Erowid.org.. Retrieved from: erowid.org/exp/1841.
  8.  Strassman, R. (2001). DMT, the spirit molecule: A doctor’s revolutionary research into the biology of near-death and mystical experiences. Rochester, VT: Park Street Press.
  9. Global. (2013). Schematic of “the dome.” Message posted to DMT-Nexus. Retrieved from: https://www.dmt-nexus.me/forum/default.aspx?g=posts&t=47344
  10. Byron, R. (2004/1937). The road to Oxiana. London: Pimlico.
  11.  McKenna, Terence. 1994. “Rap Dancing into the 3rd Millennium.” Presented at Starwood XIV Festival, Brushwood Folklore Center, Sherman, New York, July 19–24, 1994.

SOURCE

http://chacruna.net/dmt-liminality-and-hyperspace/

Traduction EXTACIDE