Le Jour Où Terence McKenna A Fumé De La DMT Pour La Première Fois

Lorsqu’en 1967, à l’âge de seize ans, Dennis rendit visite à son frère aîné à Berkeley, en Californie, Terence déclara qu’il savait ce qu’était la pierre philosophale. « Plus tôt, à l’automne 1965, pendant la nuit, Terence McKenna avait reçu la visite d’un ami très étrange dans sa colocation à Palo Alto au 2894 Telegraph Avenue. À ce moment-là, Terence, qui avait commencé ses études à l’U.C. Berkeley, connaissait bien les effets psychédéliques des graines de Morning Glory et s’était déjà procuré des doses de LSD grâce à son voisin Barry Melton, guitariste principal dans le groupe Country Joe and the Fish. Mais ces contacts ne lui ont pas permis de se préparer à ce qui s’est passé cette nuit-là.

Vêtu d’un petit costume noir boutonné jusqu’à la gorge, son ami – que Terence appelait « une espèce de menace pour la société et de criminel intellectuel », qu’il considérait comme sa « grande inspiration » et qui était toujours « le premier, peu importe pour quoi, à en faire l’expérience, puis à le rejeter, en étant absolument désabusé au moment où quiconque arrivait sur le lieu du crime » – débarqua avec une pipe en verre et quelque chose qui ressemblaient à des boules orange de naphtaline. « Voici quelque chose qui pourrait t’intéresser. » Régalant les personnes rassemblées à l’Ojai Foundation de Californie avec des informations qu’il n’avait peut-être jamais déclarées publiquement auparavant, Terence a indiqua que son ami lui avait fait savoir que le matériel avait été subtilisé au Stanford Research Institute à Menlo Park où avait été menée une opération de recherche chimique par l’armée américaine. « Quelqu’un a réussi à sortir un baril de 50 gallons de ce produit de l’inventaire sans que personne ne le sache. » Terence voulait savoir ce que c’était. Son ami, qui n’avait annoncé que quelques mois auparavant que « nous devons vivre comme si l’apocalypse s’était déjà produite », a ajouté « c’est ce qu’on appelle de la DMT « 2.

« Quelle que soit la provenance du produit fumé, le monde de Terence McKenna a été bouleversé pendant cette nuit de l’automne 65. »

L’ami qui a rendu visite à Terence n’était autre que Rick Watson, que nous avons déjà rencontré dans les chapitres précédents. Avec John Parker, Watson était, depuis 1963, parmi les amis de l’école secondaire Awalt High School de Mountain View en Californie, un des plus proches de Terence. Terence semble cependant avoir falsifié les faits, puisque la provenance du produit qu’il a fumé dans sa chambre de Telegraph Avenue n’était pas d’origine militaire, mais, selon Watson lui-même, provenait de « l’entourage de Kesey « 3 et donc probablement des mains de Bear Stanley. De plus, la référence à un « baril de 50 gallons » constitue un embellissement spectaculaire depuis les « récipients métalliques cylindriques de 6 pouces de haut » qui, selon l’imagination de Watson, auraient pu ou non renfermer de la DMT au Stanford Research Institute.

Quelle que soit la provenance du produit fumé, le monde de Terence McKenna a été bouleversé pendant cette nuit de l’automne 65. Après avoir tiré des lattes de ce qui ressemblait à une « boule de naphtaline », il a immédiatement été transporté dans une autre dimension : « une modalité illuminée, non tridimensionnelle et linguistiquement intentionnelle, qu’on ne pouvait nier. »

J’ai coulé par terre. J’ai commencé à avoir cette sensation de tomber en avant dans ces espaces géométriques faits de lumière et puis je me suis retrouvé dans l’équivalent de la chapelle privée du Pape et il y avait des elfes mécaniques insectes avec des étranges petites tablettes sur lesquelles étaient inscrites des annotations étranges, et je fus complètement consterné, car en quelques secondes…mon attente entière sur la nature du monde était simplement déchiqueté sous mes yeux. Je ne m’en suis jamais remis. Ces elfes mécaniques en mutation parlaient dans un langage coloré qui se condensait en machines tournantes qui ressemblaient à des œufs de Fabergé mais qui étaient fabriquées en céramique supraconductrice luminescente et en gels de cristaux liquides. Toutes ces choses étaient si bizarres, si étranges, si étrangères et si indicibles que ce fut un choc total – le renversement littéral de mon univers intellectuel… ! C’est comme être frappé par un éclair noétique.4

Le double Scorpion à la fin de son adolescence s’était considéré intellectuellement préparé à presque tout. Il était étudiant en histoire de l’art, fan de Hieronymus Bosch, il avait lu Moby-Dick, William Burroughs, toutes les œuvres d’Huxley. Mais l’expérience fut si « inéfable » qu’elle le plongea dans un état de choc.5 Bercé par l’impossible, il parcourut plus tard le globe pour raconter comment « le monde ordinaire est presque instantanément remplacé, non seulement par une hallucination, mais par une hallucination dont le caractère étranger est sa totale étrangeté même ». Il n’y avait « rien dans ce monde », avertissait-il, « qui puisse préparer aux impressions qui remplissent votre esprit lorsque vous entrez dans la dimension de la DMT ».6 Comme Burroughs, qui avait déclaré à Ginsberg en 1953 « Yagé is it », McKenna comprit qu’il avait été exposé au secret. « Il y a un secret et c’est tout », disait-il aux personnes réunies à Ojai. « C’est le secret que le monde est non seulement bien plus que ce que tu crois qu’il est, mais que le monde est un monde que tu ne peux voir tel qu’il est. » Et plus loin d’ajouter, ce secret n’était pas « quelque chose d’inconnu », mais ce qui « ne peut être dit ». Tout en étant convaincu d’avoir découvert le plus puissant de tous les hallucinogènes, contrairement à Burroughs qui, après avoir convoqué le génie « Dim-N » en 1961, avait conclu qu’il avait été exposé à « l’hallucinogène du cauchemar », McKenna, avec la connaissance du statut endogène de la DMT, la promulgua « paradoxalement la plus puissante et la plus innocente » des substances.7

« L’esprit humain ne peut pas supporter autant de beauté »

Bien qu’il ait pu vivre dans son propre paradoxe tout au long des années 1980 et 1990 en communiquant ce qui ne peut être dit, ses tournées de conférences n’étaient pas tant des prouesses miraculeuses de transposition de l’ineffable que des sorts lancés par une contagion idiomatique de mots. Si en définitive, « la maison de la raison constipée doit être infiltrée par l’art, par les rêveurs, par la vision « 8, il fut le paratonnerre d’un art visionnaire et d’un mouvement de danse néo-hermétique. Ce qui était en jeu n’était « rien de moins que la rédemption de l’humanité déchue au travers de la respiritualisation de la matière « 9, et la DMT en était l’agent spirituel.

Pendant ce temps, revenant à la fin du Summer of Love de Berkeley dans la ville de Paonia au Colorado, où il vivait toujours avec leurs parents, Dennis transportait quelques grammes de cannabis, 15 grammes de shit, quelques buvards d’acide, un produit qui lui semblait être de la mescaline et « le Saint Graal – un demi-gramme de DMT ». Après ses débuts avec la DMT en 1967, Dennis raconta dans son journal intime ses visions « d’une beauté étrange et d’un autre monde, si singulière et pourtant si belle. L’esprit humain ne peut pas supporter autant de beauté sans perdre sa conception de ce qu’est la réalité. »

Même si je ne pouvais pas parler, j’entendais, je ressentais, je sentais, je voyais, j’écoutais, je communiquais peut-être avec un son qui n’était pas un son, une voix qui était plus qu’une voix. J’ai rencontré des créatures dont l’environnement était cet univers extraterrestre dans lequel je m’étais introduit. J’ai pris conscience, et peut-être entré en communication avec, des consciences distinctes et séparées, membres d’une race d’êtres qui vivent dans ce lieu, où qu’il se trouve. Ces êtres semblaient faits en partie de pensée, en partie d’expression linguistique, en partie de concept abstrait rendu concret, en partie d’énergie. Je ne peux pas en dire plus sur la nature de ces êtres, si ce n’est qu’ils existent.10

La danse de Dennis avec la diméthyltryptamine a marqué une profonde transition dans sa vie, puisqu’il est devenu un ethnopharmacologue dont l’amour pour l’Ayahuasca le poussa à considérer ce breuvage visionnaire comme la clé pour éviter une catastrophe écologique mondiale.11 Bien que destiné à des carrière extrêmement différentes – l’un figure de proue des elfes machines de l’Hyperspace, l’autre, un scientifique réputé – chacun des frères McKenna fut profondément marqué par l’expérience avec la DMT entre 1965 et 1967. Et quatre ans plus tard, ils furent attirés vers une frontière mémorable : l’Amazonie.

Cet article est un extrait du livre de Graham St John « Mystery School in Hyperspace : A Cultural History of DMT » (North Atlantic Books/ Evolver, 2015).

  1.  Dennis J. McKenna, The Brotherhood of the Screaming Abyss: My Life with Terence McKenna (St. Cloud, MN: Polaris, 2012), 156. 
  2.  Terence McKenna, “Under the Teaching Tree,” presented at Ojai Foundation, 1993; Terence McKenna, “Understanding and the Imagination in the Light of Nature,” presented in Los Angeles, October 17, 1987. 
  3. Rick Watson, personal communication, February 28, 2015. 
  4. Terence McKenna, “Psychedelics Before and After History,” presented at San Francisco’s California Institute of Integral Studies, October 2, 1987. 
  5.  T. McKenna, “Understanding and the Imagination in the Light of Nature.” 
  6.  In Richard Gehr, “Omega Man: A Profile of Terence McKenna,” Village Voice, April 5, 1992, www.levity.com/rubric/mckenna.html. 
  7. Ibid. 
  8.  Terence McKenna, “Shamanism, Alchemy, and the 20th Century,” presented in Mannheim, Germany, 1996. 
  9. Terence McKenna, True Hallucinations: Being an Account of the Author’s Extraordinary Adventures in the Devil’s Paradise (San Francisco: Harper, 1993), 77. 
  10.  D. McKenna, The Brotherhood, 158. 
  11.  Dennis J. McKenna, “Ayahuasca and Human Destiny,” Journal of Psychoactive Drugs 37, no. 2 (2005): 231–234. 
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Article original : Graham St. John /kahpi.net