Deux des plus grandes crises – la COVID-19 et le changement climatique – mettent à nu la pensée magique qui imprègne le discours psychédélique : l’expérience individuelle de l’unité transformerait nécessairement notre société pour le mieux.
Lorsque j’ai demandé à un philanthrope psychédélique comment les médecines à base de plantes pouvaient aider à lutter contre le changement climatique, il a roucoulé la chose suivante : « commençons par l’unité, le reste s’arrangera tout seul ».
Parmi les problèmes les moins susceptibles de « s’arranger », le changement climatique pourrait figurer en tête de liste.
Sa pensée magique – la conviction que les désirs d’une personne peuvent influencer le monde extérieur ou que des événements sans lien de cause à effet sont liés – est sans surprise. Le mouvement psychédélique a longtemps été en proie à des spéculations sur l’unité chimique qui « sauverait la planète« , sans pour autant offrir d’analyse réfléchie sur la manière de le faire.
Lors d’une conférence en ligne, Rick Doblin, fondateur et directeur exécutif de la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies, a déclaré que nous avions besoin des psychédéliques pour résoudre la crise environnementale, « car jusqu’à présent, rien d’autre n’a fonctionné ». Il a catégoriquement rejeté d’un revers de la main des décennies d’organisation politique éreintante sans expliquer comment l’utilisation des psychédéliques pourrait permettre de surmonter les échecs du passé. Comme beaucoup d’autres, il laisse entendre que les expériences individuelles d’interconnexion provoquées par les molécules psychédéliques sont d’une certaine manière assez puissantes et directives pour décarboniser rapidement nos systèmes énergétiques, de transport et d’agriculture.
Avec des milliards de personnes enfermées dans le monde entier, notre interconnexion n’a jamais été aussi claire. C’est peut-être la raison pour laquelle certains experts psychédéliques « aiment » le virus COVID-19. Ils supposent que – un peu comme un trip – notre unité actuelle face au virus bouleverserait les idées reçues et révélerait la véritable nature interconnectée de la réalité. Forts de cette vérité, affirment-ils, nous éviterons la catastrophe et, comme le prétend Charles Eisenstein, nous construirons un monde meilleur.
Mais tandis que les élus placent le profit au-dessus des vies humaines, que l’administration Trump fait reculer la législation environnementale, que la suprématie blanche se fait jour chez nous et à l’étranger et que les régimes autoritaires du monde entier piétinent les libertés civiles, on nous rappelle que la façon dont la société intègre ce « trip » est déterminée par les intérêts particuliers, les pouvoirs en place et – comme Milton Friedman l’a dit un jour – les idées qui circulent. Ce n’est pas une coïncidence si les mêmes « idées » politiques et économiques qui nous ont empêchés de faire face au changement climatique – comme la concentration du pouvoir dans les entreprises, le racisme structurel, la méfiance envers la science et le démantèlement des services publics – nous empêchent de réagir efficacement à cette pandémie.
Le virus COVID-19 nous montre que l’expérience de l’unité ne résoudra pas nos problèmes. Il est beaucoup plus compliqué de changer la société que de changer nos esprits.
Pourtant, depuis que le LSD a été synthétisé pour la première fois en laboratoire, d’éminents leaders psychédéliques ont annoncé que les substances psychédéliques sauveraient le monde. Ces récits millénaristes présentent les psychédéliques comme le meilleur outil pour éviter à l’humanité un cataclysme planétaire imaginaire.
Ces prophéties ont pris de l’importance lorsque le vrai cataclysme est arrivé sous la forme d’une dégradation croissante des écosystèmes, allant de la déforestation tropicale au trou de la couche d’ozone et aux pluies acides. Il n’est donc pas surprenant que les psychédéliques et les questions environnementales soient enchevêtrées dans l’imagination occidentale – du moins de manière purement spéculative – depuis un certain temps. Certains enthousiastes attribuent l’ensemble du mouvement environnemental des années 1960 à la consommation de substances psychoactives, citant la célèbre expérience de Stewart Brand avec du LSD et la croisade qui a suivi pour prendre la première photo de la Terre depuis l’espace. Cette image a incité les écologistes à considérer la planète comme un ensemble fragile ayant besoin d’aide. Tard dans sa vie, même le créateur du LSD, Albert Hofmann, s’est fait l’avocat de la nécessité des psychédéliques pour des raisons écologiques :
« L’aliénation vis-à-vis de la nature… est la cause de la dévastation écologique et du changement climatique. C’est pourquoi j’accorde la plus haute importance au changement de conscience. Je considère les psychédéliques comme des catalyseurs de ce changement ».
Mais l’espoir que des trips sauveront la société a été le plus largement défendu par Terence McKenna, un célèbre barde psychédélique connu pour ses divagations de plusieurs heures et sa théorie au moins à moitié sérieuse selon laquelle le monde s’éteindrait en 2012. Il a émis l’hypothèse que les psychédéliques, en l’occurrence les tryptamines, offraient des portes d’entrée vers « l’esprit gaïen » de la planète, permettant aux humains d’entendre le cri collectif des écosystèmes en crise, et d’y voir une porte ouverte vers l’avenir.
McKenna a proposé un certain nombre de solutions pour sauver la Terre, allant de pratiques (réformer l’élimination des déchets toxiques et restaurer les écosystèmes naturels) à radicales (freiner le consumérisme) voire écofascistes (limiter à un le nombre maximal d’enfant par femme) ; toutefois, il a déclaré que ces changements étaient impossibles sans une utilisation généralisée de psychédéliques. Faisant écho à mon ami philanthrope, il nous a exhorté à fusionner avec l’esprit gaïen, puis « les plans viendront ».
Le paysage psychédélique actuel ressemble très peu à ce qu’il était à la mort de McKenna en 2000. L’actuelle « Renaissance psychédélique » professionnalisée déploie des chiens de garde journalistiques de haut niveau et des institutions scientifiques réputées pour légitimer les bienfaits médicaux des psychédéliques par le biais de recherches rigoureuses, évaluées par des pairs. La spéculation visionnaire a été supplantée par l’extrapolation rationnelle.
Au milieu de discussions arides sur les protocoles cliniques, les valeurs-p et les comités de révision institutionnels se cache le même vieil espoir : les expériences psychédéliques n’aideront pas seulement les esprits individuels, elles révéleront comment nous pouvons guérir le monde. Le millénarisme a fait peau neuve : les évangélistes brandissent désormais la recherche clinique évaluée par les pairs au lieu d’essayer de défendre à l’aide d’épiphanies psychédéliques – souvent de façon vague – leurs espoirs sociétaux plus larges.
On entend des échos de ferveur latente et salvatrice dans les déclarations des chercheurs les plus aguerris. Dans une interview, le Dr. Roland Griffiths, chercheur à l’université Johns Hopkins, a émis l’hypothèse suivante :
« Le cœur de l’expérience mystique est l’interconnexion de toutes les personnes et de toutes les choses, la conscience que nous sommes tous dans le même bateau. C’est précisément l’absence de ce sentiment d’entraide qui met notre espèce en danger en ce moment, avec le changement climatique et le développement d’armes qui peuvent détruire la vie sur la planète ».
Alors que Griffiths poursuit par une mise en garde : tout le monde ne devrait pas consommer des psychédéliques. D’autres sont moins prudents.
Sam Gandy, chercheur au sein de l’Imperial College de Londres, est le plus fervent défenseur des psychédéliques comme solution environnementale. Pour le prouver, il a rassemblé plusieurs publications scientifiques, dont une étude sur la dépression qui établit un lien entre la psilocybine et un lien renforcé avec la nature, ainsi qu’une enquête en ligne qui démontre que les consommateurs de psychédéliques ont des comportements plus favorables à l’environnement, comme le recyclage et la préservation de l’eau, par rapport aux autres types de consommateurs de substances. Dans un article intitulé « From Egoism to Ecoism », Gandy et ses collègues confirment le lien entre la dissolution de l’ego et la relation à la nature, insinuant obliquement que la décriminalisation est une stratégie environnementale viable : « Il semblerait que l’interdiction généralisée des psychédéliques ne soit pas dans l’intérêt de notre espèce, ou de la biosphère en général. »
Gandy a même suggéré que les psychédéliques pourraient jouer un rôle dans la « conversion des sceptiques de la nature ». De même, David Olsen, chercheur à l’Université de Californie Davis, a affirmé que les psychédéliques pourraient être utilisés pour transformer les personnes en activistes en introduisant des concepts climatiques lors de leurs expériences psychédéliques. On peut se demander qui, parmi la population cible, participerait sciemment à une telle expérience. Néanmoins, il est profondément troublant de voir des membres de la communauté des chercheurs en psychédéliques se livrer à un lavage de cerveau, même avec les plus nobles intentions.
Les médias ont suivi cette logique, publiant des titres allant du vœu pieux (« Comment les psychédéliques pourraient aider à sauver la planète ») à la remise en question (« Les psychédéliques pourraient-ils aider à résoudre la crise climatique ? ») et carrément téméraires (« Si tout le monde consommait des psychédéliques, nous en ferions plus contre le changement climatique).
Alors que ce renouveau scientifique du millénarisme à la McKenna prend racine dans les médias, il n’y a jamais eu de moment plus important pour l’engager selon ses propres termes.
Acceptons pour l’instant le constat que les psychédéliques peuvent renforcer la relation avec la nature, ce qui pourrait à son tour accroître les comportements en faveur de l’environnement. Quels comportements ? Pour combien de temps ? Est-ce que tout le monde, partout, est censé faire un expérience psychédélique avec une grosse dose de psilocybine de qualité pharmaceutique, guidée par un professionnel ? Si ce n’est pas le cas, qui ?
Une interprétation extrêmement charitable de la logique de « l’égoïsme à l’écoïsme » pourrait nous amener à conclure qu’un changement suffisant de comportement individuel finirait par faire boule de neige et déboucher sur une politique qui résoudrait le problème du changement climatique, produisant une sorte d’immunité collective psychédélique qui reverdirait subitement notre conscience collective.
C’est une appréciation d’une naïveté éblouissante de l’économie politique du réchauffement climatique, une appréciation que personne qui travaille réellement sur la mobilisation des mouvements ne croit. Le changement climatique, le problème d’action collective le plus complexe auquel le monde ait jamais été confronté, ne sera pas résolu par des médicaments psychédéliques qui nous transformeront tous en recycleurs diligents. Y croire est digne de la pensée magique classique.
En fait, certains experts affirment que les choix individuels ne sont statistiquement pas responsables de la crise climatique. Pour preuve, ne cherchez pas plus loin que la pandémie actuelle. Malgré les milliards de personnes réfugiées chez elles, on estime que les émissions mondiales de gaz à effet de serre devraient diminuer de 4 à 7 % en 2020. Pour que nous puissions atteindre nos objectifs les plus ambitieux en matière de changement climatique, il faut que les émissions diminuent au moins de ce pourcentage chaque année pendant les dix prochaines années.
Compte tenu des souffrances indicibles que la COVID-19 a engendrées, cette modeste réduction n’a rien de réjouissant. En l’absence d’une législation significative, les émissions vont probablement rebondir plus fortement qu’avant la pandémie, comme ce fut le cas après la crise financière de 2008. En fait, avec la reprise de l’économie, les émissions mondiales sont déjà en train de remonter. En Chine, la pollution atmosphérique a atteint des taux plus élevés qu’avant la pandémie. L’année 2020 devrait être la plus chaude jamais enregistrée. L’Arctique est en feu. Et en mai, les concentrations atmosphériques de CO2 ont atteint leur niveau le plus élevé jamais enregistré.
La COVID-19 met à nu ce que savent les militants du climat : notre crise actuelle n’est pas simplement le résultat de nos choix comportementaux individuels, mais d’une économie structurée par des intérêts particuliers qui font passer les profits avant la planète. Prenons par exemple le fait que seulement 100 entreprises représentent 71 % des émissions mondiales depuis 1988. Ces intérêts dans le domaine des combustibles fossiles ont dépensé des milliards de dollars pour tromper le public, semer le déni climatique et obtenir des milliards de dollars de subventions, contrecarrant ainsi les efforts visant à assurer un avenir viable sur Terre. C’est pourquoi nous n’avons pas seulement besoin du LSD pour réparer notre relation avec la nature ; nous avons besoin d’un changement structurel radical qui encadre cette relation en faisant payer aux grands pollueurs le prix de la destruction de la planète.
La quarantaine a peut-être renforcé par la force notre lien avec la nature. Mais tandis que les Américains apprennent les chants d’oiseaux, célèbrent les invasions d’animaux sauvages en milieu urbain et cultivent leurs jardins, l’administration Trump est occupée à faire reculer les principales victoires environnementales de la dernière décennie, notamment en supprimant les normes d’économie de carburant, en vendant des terres publiques et en suspendant l’application des lois sur la pollution atmosphérique. Les industries de la viande et des combustibles fossiles – deux des plus grands coupables du changement climatique – ont demandé ce qui équivaut essentiellement à des renflouements publics, tandis que l’industrie du charbon a obtenu 31 millions de dollars de prêts de relance pour les petites entreprises.
Ainsi, si l’hypothèse psychédélique affirme que « les expériences d’interconnexion sont de facto bonnes pour la planète », la COVID-19 répond par un non retentissant.
Les partisans de la logique « de l’égoïsme à l’écoïsme » seraient bien avisés de faire preuve de prudence pour plusieurs raisons supplémentaires. Tout d’abord, il convient de souligner que les expériences mystiques et d’unité ne sont en aucun cas un phénomène universel lors d’une expérience psychédélique.
De plus, il n’y a pas de modèle linéaire permettant de déterminer comment les expériences d’unité affectent l’éthique, la politique et les actions. Le conflit entre ces catégories crée un dangereux risque moral que j’appelle l’antinomie psychédélique, par lequel on substitue une expérience mystique à une éducation morale. Le risque est que les psychonautes s’abstiennent de la responsabilité d’éduquer, de mobiliser et d’agir sur le changement climatique. Après tout, lorsque vous « parvenez à l’unité, le reste s’arrangera tout seul ».
Comme l’a fait remarquer le spécialiste des questions religieuses Jeffrey Kripal, il n’y a pas de lien nécessaire ou simple entre le mystique et l’éthique. Le monde est trop rempli de contradictions pour le croire : gourous toxiques, abus sexuels commis par des leaders psychédéliques, sans parler de la vérité dérangeante de l’utilisation de psychédéliques par les groupuscules de droite et de suprémacistes blancs. On ne sort pas d’une expérience psychédélique en sachant distinguer le bien du mal, et encore moins si une taxe sur le carbone est préférable à un système de marché des droits à polluer.
Alors qu’une expérience d’unité pourrait motiver certains à se soucier du collectif, d’autres pourraient redoubler d’efforts pour servir leurs propres intérêts. La fragile réciprocité de la Terre est exactement la raison pour laquelle Jeff Bezos dépense des milliards pour l’abandonner, et pourquoi des millionnaires construisent des bunkers de luxe dédiés à se protéger du changement climatique et paient des sociétés de sécurité privées pour les protéger alors que le reste d’entre nous succombe au chaos climatique total. Même l’évangéliste psychédélique Timothy Leary a ridiculisé le mouvement écologiste, qualifiant le domaine de « séduisante science des dinosaures ». Pourquoi se préoccuper de la Terre alors que l’humanité, affirmait-il, va bientôt migrer dans l’espace ?
Pour ceux qui ont des privilèges, l’interconnexion est un risque à gérer, et non un précieux aperçu à partir duquel on peut construire un monde meilleur pour tous.
Le discours de l' »égoïsme à l’écoïsme » se caractérise malheureusement par un élitisme spirituel involontaire, qui fait de la conscience de l’unité le fondement le plus éclairé de l’écologie. Mais ne faire qu’un avec la nature n’est ni la seule ni la meilleure raison de se préoccuper de l’avenir de notre planète. Il existe de nombreuses motivations tout aussi valables pour agir en faveur de l’environnement : dette envers les générations futures et précédentes, justice ou rage. Les leaders environnementaux les plus efficaces et les plus éloquents d’aujourd’hui – de Greta Thunberg à Xiuhtezcatl Martinez, en passant par Michael Mann et Varshini Prakash – répondent à toutes ces motivations.
La communauté du climat n’est pas étrangère à la pensée magique. De temps en temps, un nouveau deus ex machina se met en place, qui vise à défaire des décennies d’inaction : injection de particules dans l’atmosphère pour bloquer le soleil, construction de grandes boîtes qui aspirent le carbone de l’air, fertilisation de l’océan. Les psychédéliques.
Je n’ignore pas que les psychédéliques peuvent catalyser une guérison personnelle profonde et la création de sens ; je sais par expérience qu’ils le peuvent. Tout le monde devrait avoir accès à ces médicaments dans des formats sécurisés, avec une préparation adéquate et un soutien à l’intégration. Et je ne souhaite pas dénigrer ce qui est effectivement la forme la plus ancienne et la plus globale d’expérience et d’expression religieuses, à savoir la soi-disant magie. Mais je marche sur une ligne délicate : une mystique qui écrit des mémos politiques, une fanatique du climat qui accepte la courbe de Keeling autant que les moyens non rationnels de savoir. Imaginer l’avenir incombe autant aux chamanes, aux prêtres et aux devins qu’aux scientifiques et aux responsables politiques, et j’apprécie les modes disparates par lesquels leurs visions respectives prennent forme.
Mais en ce qui concerne le changement climatique, l’avenir est déjà là, et il est sombre. Nous n’avons pas le temps de confondre la pensée magique avec une stratégie politique viable. Les expériences psychédéliques, si elles peuvent constituer des points de départ significatifs pour le changement individuel, sont des points d’arrivée dangereux pour le changement sociétal. Une empreinte carbone élevée n’est pas une pathologie à traiter en laboratoire ou à guérir lors d’une cérémonie d’ayahuasca ; c’est un trait caractéristique de notre culture pétro-capitaliste.
Je crois que la pensée magique climatique naît d’une douleur émotionnelle profonde et inexprimée : la culpabilité et le chagrin. (Par coïncidence, je soupçonne que les psychédéliques sont particulièrement bien adaptés pour aider les militants du climat et les scientifiques à traiter le deuil climatique et à éviter l’épuisement professionnel). Alors que nous détruisons des récifs coralliens et que des milliards d’oiseaux s’éteignent, alors que des conditions climatiques extrêmes et des maladies zoonotiques menacent la vie sur Terre, nous ne nous contentons pas de pleurer ce qui est perdu, nous sommes aussi continuellement confrontés à notre responsabilité pour cette perte.
La douleur est presque trop grande. En conséquence, l’éthicien théologien Jacob Erickson écrit : « On peut espérer que les actions actuelles visant à résoudre une crise pourraient, comme par magie, réparer les torts causés dans une autre ». Nous prions pour que toutes les grandes recherches sur les études de psychédéliques contiennent la clé de l’écologisation de la société. Peut-être que la quarantaine permettra enfin de refroidir notre monde brûlant.
Mais la pandémie nous a enseigné une douloureuse leçon : la pensée magique peut être mortelle. « [La COVID va] disparaître un jour. C’est comme un miracle : il disparaîtra. » Les traitements doivent être adaptés à ce qui nous afflige. Maintenir les psychédéliques comme une stratégie viable de réduction des émissions est aussi irréfléchi que de promouvoir l’hydroxychloroquine pour traiter la COVID-19. Prétendre que l’unité occasionnée par la drogue sauvera la planète est l’équivalent moral, sans nuance, de la chanson « Imagine » que chantent les célébrités sur les médias sociaux.
Les expériences psychédéliques ne prescrivent pas de politique. La dissolution de l’ego est formidable, mais il faut un ego pour voter, bloquer ou résister aux réalités destructrices de notre époque. Et je crois que l’action climatique la plus importante cette année consiste à élire des candidats à tous les niveaux de gouvernement qui soutiennent une législation audacieuse pour fixer le prix du carbone, encourager l’énergie propre, protéger les écosystèmes naturels et assurer une transition juste – tout en se remettant des ravages économiques de la pandémie.
La communauté psychédélique doit au monde quelque chose de plus constructif que « tune in, turn on, save Earth ». Si les militants psychédéliques et les chercheurs se soucient réellement du changement sociétal, ils doivent cesser de colporter des récits crypto-libertariens qui privilégient l’expérience individuelle libre par rapport à la nécessité d’une organisation collective et d’une réforme structurelle radicale. Ils doivent mobiliser leurs communautés pour soutenir des programmes politiques clairs comme le Green New Deal, notre meilleure chance actuelle de lutter contre le changement climatique à la vitesse et à l’échelle requises. C’est ce que font notamment certains militants de la médecine végétale, comme le Dr. Bronner et Gail Bradbrook de Extinction Rebellion.
Si la communauté psychédélique veut vraiment faire évoluer les mentalités pour de bon, elle pourrait même faire pression pour que des programmes de sensibilisation des élèves à la nature soient mis en place, ou pour que des programmes nationaux obligatoires sur le changement climatique soient mis en place, comme ceux récemment introduits dans les écoles de Nouvelle-Zélande et d’Italie. Ces interventions à grande échelle, ne présentent aucun risque de bad trip, et contrairement à la psilocybine ou au LSD, il a été démontré qu’elles permettaient de réduire les émissions de carbone de manière efficace et rentable.
Ni l’unité provoquée par les psychédéliques ni l’unité face au virus ne « résoudra » le problème du changement climatique. En effet, lorsque l’expérience est terminée, le dur labeur commence. Il est facile et peu coûteux d’administrer des doses à des personnes contrairement à la modification des conditions matérielles qui permettent leur exploitation, ou de les aider à interpréter de manière significative leurs expériences et à rassembler des idées pour une vie qui vaut la peine d’être vécue. L’intégration est lente, coûteuse et difficile, tout comme la mobilisation politique dont Doblin insinue qu’elle a échoué dans la lutte contre le changement climatique au fil des décennies. Mais les épisodes de changement sociétal décisifs, du droit de vote des femmes à l’égalité des droits en passant par le mariage homosexuel, ne sont pas arrivés comme par magie du jour au lendemain. Ils ont nécessité des années de pression politique soutenue, des alliances novatrices et une série de tactiques créatives et complémentaires.
Pour dire les choses simplement, un plan était nécessaire.
Partout dans le monde, les nations délibèrent sur la manière de dépenser des milliards de dollars de fonds de relance pour lutter contre la pandémie, une occasion unique de dépenser pour « reconstruire la société en mieux« . Ces fonds seront-ils affectés à la création de nouvelles centrales à charbon, à la construction de villes surpeuplées et à la création d’entreprises qui ravagent nos ressources naturelles ? Encourageront-ils un système de santé en panne ? Ou construiront-ils des sociétés plus résistantes, plus inclusives et plus durables ? Comment la société intégrera-t-elle ce trip ?
Pour répondre à ces questions, nous avons besoin de bien plus que d’une unité avec la nature. Nous avons besoin d’un programme politique unifié pour démanteler les logiques capitalistes qui privilégient le profit au détriment des personnes et de la planète. Car comme l’a dit Terence McKenna, « Si vous n’avez pas de plan, vous ferez partie du plan de quelqu’un d’autre ».
Rachael est une auteure et consultante en matière d’environnement qui conseille les organisations à but non lucratif et les fondations sur le changement climatique. Spécialiste des forêts tropicales, Rachael a mené des recherches sur le terrain en Amazonie brésilienne et équatorienne, à Bornéo, en Ouganda et ailleurs. Après presque une décennie consacrée à la politique climatique, Rachael a tourné son attention vers les implications spirituelles de nos crises écologiques actuelles. Rachael est tombée sur les psychédéliques en participant à un essai clinique sur la psilocybine pour lutter contre la dépression. Ses écrits explorent les risques potentiels, les avantages et les implications sociétales de la médicalisation et de la commercialisation du mysticisme. Son travail interroge la convergence du mystique et de la morale, et envisage le rôle des états de conscience non ordinaires dans les formes actuelles et futures de la religion. Rachael explore ces thèmes en tant que Junior Fellow au Center for the Study of World Religions de l’Université de Harvard.
Article original : Rachael Petersen /psymposia.com