Chaque mois, nous explorons la recherche scientifique et abordons un sujet de santé différent. En décembre, nous mettons en lumière cinq nouvelles études sur les psychédéliques.
Nous avons également recueilli des données sur les essais cliniques qui recrutent des volontaires pour étudier les utilisations thérapeutiques des psychédéliques. Les essais cliniques sont des études de recherche visant à évaluer une intervention médicale. Ils permettent aux chercheurs d’étudier un traitement particulier pour lequel il n’existe peut-être pas encore beaucoup de données sur son innocuité ou son efficacité. Les essais cliniques de phase 1 constituent la première fois où la plupart des médicaments seront utilisés sur des humains, il s’agit donc de trouver une dose sans danger. Si le médicament passe l’étape de l’essai initial, il peut être utilisé dans un essai de phase 2 plus important pour voir s’il est efficace. Ensuite, il peut être comparé à un traitement dont l’efficacité est connue dans un essai de phase 3. Si le médicament est approuvé par la Food and Drug Administration (FDA), il passera à un essai de phase 4. Parlez à votre médecin concernant tout essai clinique auquel vous voudriez prendre part.
LES ÉTUDES
01
LES PSYCHÉDÉLIQUES FAVORISENT LA PLASTICITÉ NEURONALE
Cell Reports (2018)
À l’intérieur du cerveau, les neurones communiquent en s’envoyant des signaux les uns vers les autres par un réseau complexe de connexions. Tout au long de votre vie, le cerveau s’adapte constamment aux changements en se recâblant pour former de nouvelles connexions. C’est ce qu’on appelle la neuroplasticité. Les scientifiques ont émis l’hypothèse que les médicaments qui favorisent la neuroplasticité pourraient aider à traiter divers problèmes de santé mentale, comme la dépression, l’anxiété et le syndrome de stress post-traumatique. En outre, il a été démontré que les personnes atteintes de ces problèmes présentent des changements distincts dans la structure et la fonctionnalité des différentes régions du cerveau. La kétamine est l’une de ces substances dont les chercheurs ont démontré qu’elle favorise la neuroplasticité. Et bien que d’autres psychédéliques, comme la MDMA, la psilocybine, la DMT et le LSD, aient démontré un potentiel thérapeutique dans la lutte contre la dépression et l’anxiété, on ne sait pas exactement pourquoi ni comment ces substances peuvent avoir ces effets sur le cerveau.
Des chercheurs de l’Université de Californie, à Davis, ont pris des cultures cérébrales de rats et les ont traitées avec du DOI (une amphétamine), de la DMT et du LSD pendant vingt-quatre heures. Les chercheurs ont découvert que tous les composés psychédéliques favorisaient la croissance des neurones : de nouvelles connexions neuronales et une activité cérébrale qui n’existait pas auparavant ont fait leur apparition. On espère que des études comme celle-ci permettront de briser le stigmate historique entourant les psychédéliques et de mieux comprendre leur innocuité et leur potentiel thérapeutique.
02
LA CONSOMMATION DE SUBSTANCES PSYCHÉDÉLIQUES EST LIÉE À UNE RÉDUCTION DE LA VIOLENCE ENTRE PARTENAIRES INTIMES
Journal of Psychopharmacology (2018)
Une équipe de chercheurs canadienne a recruté 1 266 étudiants de niveau universitaire et leur a demandé de répondre à un sondage en ligne. Le sondage comportait des questions sur leurs antécédents de consommation de substances psychédéliques et d’alcool, et il comprenait deux échelles psychologiques qui évaluaient la régulation émotionnelle et les antécédents de violence entre partenaires intimes.
D’après les résultats de l’enquête, les chercheurs ont constaté qu’une augmentation de la violence entre partenaires intimes était associée à la consommation d’alcool des participants. Et pour les femmes, la consommation d’alcool était liée à une plus mauvaise maîtrise des émotions. Mais les résultats liés à la consommation de substances psychédéliques (qui a été signalée par un pourcentage étonnant de 32% des répondants) étaient beaucoup plus positifs. Chez les hommes, la consommation de substances psychédéliques était associée à une régulation émotionnelle plus importante. Et les hommes ayant déclaré avoir déjà consommé des substances psychédéliques étaient deux fois moins susceptibles de signaler avoir commis des actes de violence à l’égard de leur partenaire. Les chercheurs émettent l’hypothèse que l’augmentation de la régulation émotionnelle pourrait expliquer la réduction de la violence entre partenaires intimes chez ces hommes. (Cette corrélation entre l’augmentation de la régulation émotionnelle et la réduction de la violence n’a pas été trouvée pour les femmes qui consomment des psychédéliques – peut-être parce que la violence perpétrée par les femmes à l’égard de leur partenaire intime peut être due à d’autres facteurs, comme la légitime défense).
L’étude étant fondée sur les renseignements communiqués en ligne par les participants, elle comporte toutefois certaines limitations. Mais elle soulève la question intéressante de savoir si les thérapies psychédéliques pourraient être utilisées pour réduire les comportements violents.
03
LA MÉDITATION ASSISTÉE PAR LA PSILOCYBINE PRODUIT DES CHANGEMENTS NEUROLOGIQUES ET PSYCHOLOGIQUES
NeuroImage (2019)
La méditation et les psychédéliques ont tous deux la capacité de transformer l’expérience de conscience d’une personne. Les chercheurs pensent que cela est dû aux changements dans le réseau du mode par défaut (MPD). Le MPD est un réseau cérébral qui contrôle l’éveil, la conscience et la mémoire ainsi que la perception de soi, ou de l’ego. Parmi les personnes qui consomment des psychédéliques, beaucoup signalent une perte partielle ou complète de l’ego, ou de la perception de soi, qui peut être due à une réduction du flux sanguin vers le MPD . D’autre part, un MPD hyperactif peut jouer un rôle dans les troubles de santé mentale tels que la dépression et l’anxiété.
Pour explorer les effets d’une combinaison de méditation et de psychédéliques, des chercheurs suisses ont étudié trente-huit personnes au cours d’une retraite de méditation silencieuse de cinq jours. Le matin du quatrième jour, les participants ont été répartis au hasard pour recevoir soit de la psilocybine (le composé actif des champignons psychédéliques) à une dose de 21,82 milligrammes (plus ou moins 3,7 milligrammes, selon leur poids corporel), soit un placebo. Tous les participants ont continué à suivre leurs séances de méditation régulières. Des scanners du cerveau des participants ont été effectués avant et après la retraite.
Les chercheurs ont découvert qu’après la retraite, les participants qui avaient consommé de la psilocybine présentaient des changements importants dans les connexions entre les régions du cerveau associées au MPD, signes d’une dissolution de l’ego. Quatre mois plus tard, ces changements dans la connectivité du cerveau parmi le groupe ayant consommé de la psilocybine ont été associés à des changements positifs dans l’humeur, le comportement, la spiritualité et les attitudes envers soi. Cette étude met l’accent sur les effets bénéfiques potentiels des psychédéliques et de la méditation et leurs effets thérapeutiques lorsqu’ils sont combinés.
04
LA MDMA AUGMENTE LE COMPORTEMENT PROSOCIAL DES PIEUVRES
Current Biology (2018)
Les chercheurs de L’Université Johns Hopkins ont étudié les effets de la MDMA sur la pieuvre à deux points de Californie, qui serait l’invertébré le plus avancé sur le plan comportemental. Les Chercheurs ont placé une pieuvre dans un réservoir à trois chambres avec de petites portes permettant de se déplacer entre les chambres. La chambre de gauche contenait un objet intéressant, celle du centre était vide, et celle de droite contenait une pieuvre mâle ou femelle. Après avoir enregistré l’activité des différentes pieuvres pendant trente minutes, les chercheurs ont constaté que les pieuvres préféraient interagir avec la pieuvre femelle dans la chambre de droite plutôt que d’interagir avec l’objet dans la chambre de gauche. Mais lorsqu’il y avait une pieuvre mâle dans la chambre de droite, ils préféraient passer plus de temps avec l’objet.
Ensuite, les chercheurs ont immergé pendant dix minutes chaque pieuvre dans un bain contenant de la MDMA, puis l’ont lavée et l’ont remise dans le réservoir. Les chercheurs ont placé une pieuvre mâle dans le réservoir de droite pour déterminer si le comportement de l’animal changerait envers le mâle après le bain de MDMA. Et c’est exactement ce qu’ils ont trouvé : Les pieuvres ont passé beaucoup plus de temps avec la pieuvre mâle sous l’influence de la MDMA que dans des conditions normales, démontrant les effets prosociaux de la MDMA. Les pieuvres ont également touché l’autre animal beaucoup plus souvent lorsqu’elles étaient sous l’effet de la MDMA. Plutôt que d’étendre prudemment une tentacule vers l’autre pieuvre à partir du côté du réservoir, l’animal déplaçait tout son corps vers l’autre pieuvre de façon exploratoire.
Ces comportements prosociaux et la plus grande sensibilité à l’égard des autres animaux sont quelques-unes des nombreuses raisons pour lesquelles la thérapie assistée par la MDMA est étudiée pour les personnes souffrant du syndrome de stress post-traumatique. Une thérapie avec la MDMA pourrait les aider à s’ouvrir et à traiter leur traumatisme.
05
THÉRAPIE ASSISTÉE PAR LA MDMA POUR LUTTER CONTRE LE TROUBLE DE STRESS POST-TRAUMATIQUE
Journal of Psychopharmacology (2018)
Le principal projet de la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies, un organisme de recherche à but non lucratif qui défend les bienfaits d’une consommation psychédélique sûre, est de faire passer la MDMA par le processus de développement des médicaments de la FDA afin qu’elle puisse être utilisée pour traiter le trouble de stress post-traumatique. En 2018, MAPS a publié les résultats de son essai clinique de phase 2 sur la psychothérapie assistée par la MDMA. Vingt-huit personnes souffrant de SSPT chronique ont été recrutées et randomisées pour recevoir soit 40, 100 ou 125 milligrammes de MDMA au cours de deux séances de psychothérapie distinctes de huit heures. Ces participants avaient le choix de recevoir une dose de rappel de 20, 50 ou 62,5 milligrammes de MDMA quatre-vingt-dix minutes après la première dose. Les participants et les chercheurs ne savaient pas quelle dose de MDMA ils recevaient. Les participants n’ont pas été guidés ; les thérapeutes sont plutôt restés ouverts et curieux, permettant aux participants de se guider eux-mêmes – en choisissant de s’allonger, de porter un masque pour les yeux ou d’écouter de la musique instrumentale. Le matin suivant chaque séance de psychothérapie assistée par la MDMA, des séances d’intégration ont eu lieu, au cours desquelles le thérapeute s’est entretenu avec les patients et leur a permis de digérer leur expérience de la veille. Les chercheurs ont constaté qu’un mois après la fin des séances, les participants qui avaient reçu la plus forte dose de MDMA présentaient les réductions les plus importantes dans la gravité du syndrome de stress post-traumatique.
Une fois les séances de thérapie à l’aveugle terminées, les participants ont ensuite suivi une séance de psychothérapie à l’aveugle avec une dose de 100 à 125 milligrammes de MDMA. Les participants qui n’avaient initialement reçu que 40 milligrammes au cours des deux premières séances ont suivi trois séances avec la dose la plus élevée afin de pouvoir également profiter des avantages d’un traitement à dose plus élevée. Un mois après la fin des séances à dose élevée sans insu, les participants de tous les groupes ont montré une réduction significative des symptômes du SSPT après leur première série de traitements à faible dose, comparativement à leurs symptômes initiaux.
Un an plus tard, les chercheurs ont réévalué tous les participants et ont constaté une réduction globale significative de la gravité du syndrome de stress post-traumatique depuis leur participation initiale à l’étude. 76% des participants à l’étude ne répondaient plus aux critères de diagnostic du syndrome de stress post-traumatique (SSPT).
MAPS recrute actuellement pour le premier essai clinique de phase 3 de la psychothérapie assistée par la MDMA – nous avons inclus les informations pertinentes ci-dessous.
LES ESSAIS CLINIQUES
01
PSYCHOTHÉRAPIE ASSISTÉE PAR LA MDMA POUR LE SYNDROME DE STRESS POST-TRAUMATIQUE (SSPT)
Michael Mithoefer (MD) psychiatre responsable des études cliniques pour MAPS, recrute des sujets de plusieurs endroits aux États-Unis souffrant de SSPT pour la première étude clinique de phase 3 de la psychothérapie assistée par la MDMA afin de voir si trois séances peuvent aider à réduire la gravité de leurs symptômes de stress post-traumatique.
02
LA PSILOCYBINE POUR LE SEVRAGE TABAGIQUE
Matthew W. Johnson (PhD) professeur agrégé de psychiatrie et de sciences du comportement à l’Université Johns Hopkins, recrute des fumeurs pour déterminer si treize semaines de thérapie cognitivo-comportementale en combinaison avec une dose élevée de psilocybine peut aider les fumeurs à cesser de fumer plus efficacement qu’un patch de nicotine. Les chercheurs ont émis l’hypothèse que de nombreux psychédéliques peuvent aider à résoudre les problèmes de dépendance – voir notre questions/réponses avec Thomas Kingsley Brown, PhD, sur la façon dont l’ibogaïne est utilisée pour traiter la dépendance aux opioïdes.
03
LA PSILOCYBINE POUR LE TRAITEMENT DE LA DÉPRESSION
David Nutt (DM, FRCP) directeur de l’unité de neuropsychopharmacologie de l’Imperial College de Londres, recrute des personnes au Royaume-Uni souffrant de trouble dépressif majeur pour une étude clinique de phase 2 visant à déterminer si la psilocybine est un traitement efficace par rapport à l’antidépresseur escitalopram couramment prescrit. Plus de vingt études cliniques recrutent actuellement des volontaires pour étudier les effets thérapeutiques de la psilocybine.
04
LE LSD POUR LE TRAITEMENT DE L’ANXIÉTÉ
Le psychiatre Peter Gasser (MD) est une légende dans le monde de la recherche sur le LSD : Il est la seule personne légalement autorisée à étudier le psychédélique, ayant reçu l’autorisation du Ministère suisse de la Santé pour mener des études sur son potentiel thérapeutique. En 2014, il a publié une étude montrant que la psychothérapie assistée par le LSD réduisait l’anxiété chez les personnes atteintes de maladies mortelles. Aujourd’hui, Gasser recrute en Suisse des volontaires souffrant de troubles anxieux pour une étude clinique de phase 2 visant à déterminer si une dose unique de LSD est efficace pour réduire les symptômes cliniques d’anxiété.
05
LA KÉTAMINE POUR COMBATTRE LE SUICIDE
Au début de l’année 2019, la kétamine a été approuvée par la Food and Drug Administration (FDA) comme médicament pour la dépression résistante au traitement après que de nombreuses études cliniques aient démontré ses effets antidépresseurs rapides. Francesca Beaudoin (MD, PhD) médecin urgentiste au Rhode Island Hospital, recrute des volontaires pour un essai clinique de phase 1 afin de déterminer si la kétamine est efficace pour les personnes admises en psychiatrie pour des tendances suicidaires. Elle espère qu’une intraveineuse de kétamine à faible dose pendant quarante minutes est efficace pour améliorer l’humeur et les pensées suicidaires.
Pour en savoir plus sur la kétamine, consultez notre foire aux questions sur la psychothérapie assistée par la kétamine avec le psychiatre Will Siu (MD) et écoutez l’épisode de The goop Podcast avec le psychiatre Steven Levine (MD) sur la dépression et la santé mentale.