Diméthyltryptamine (DMT) : Vous Ne Pouvez Pas Imaginer Une Expérience Plus Étrange

Dans le monde des « ballons de basket auto-rebondissants et ornés de joyaux ».

La N,N-diméthyltryptamine, ou DMT, est un composé tryptaminique psychédélique illégal que l’on trouve dans le corps humain et dans au moins 60 espèces de plantes du monde entier. Le docteur Rick Strassman, l’a décrit comme « le premier psychédélique humain endogène » dans son livre DMT : La Molécule de l’Esprit (2000), puis a déclaré en 2011 dans une interview que la DMT « semblait effectivement être une composante nécessaire au fonctionnement normal du cerveau ». Terence McKenna (qui, « plus que quiconque », écrivait Strassman en 2000, « a fait prendre conscience de l’existence de la DMT, à travers des conférences, des livres, des interviews et des enregistrements ») l’avait appelé « le plus puissant hallucinogène connu des humains et de la science » et « le plus répandus dans la nature » dans sa conférence de 1994 intitulée « Rap Dancing into the Third Millennium« . McKenna se demandait pourquoi les religions n’avait pas proclamé la DMT comme « son élément central prouvant la présence de l’Autre dans le monde humain », et déclarait :

« Je ne comprends pas pourquoi cela ne fait pas les gros titres dans tous les journaux de la planète. Je ne sais pas quelles nouvelles vous attendiez, mais c’est la nouvelle que moi j’attendais. »

McKenna a fumé de la DMT quand il était encore étudiant à Berkeley au début de l’année 1967. Il avait déjà de l’expérience avec le LSD – en consommant « une fois par mois environ » – ainsi que d’autres psychédéliques, mais, comme il l’a fait remarquer dans une interview dans son livre The Archaic Revival (1992) :

« C’est vraiment la DMT qui a renforcé mon engagement en faveur de l’expérience psychédélique. La DMT était tellement plus puissante, tellement plus étrange, soulevant toutes sortes de questions sur ce qu’est la réalité, ce qu’est le langage, ce qu’est le moi, l’espace et le temps, toutes ces questions dans lesquelles je suis impliqué depuis plus de 20 ans. »

De 1967 à 1994, McKenna a fumé de la DMT – une substance orange, cristalline et cireuse qui « sent vaguement la naphtaline » – de 30 à 40 fois. Il a décrit les expériences de ses voyages avec la DMT dans les conférences intitulées « Rap Dancing Into the Third Millennium », « DMT Revelations » et « Time and Mind« . Ci-dessous se trouve mon assemblage des expériences de McKenna, disposés chronologiquement, avec le temps approximatif, en minutes et secondes, écoulé depuis la première ingestion de DMT, vaporisé dans une pipe en verre :

0:00. Première taffe. Les couleurs s’éclaircissent, les contours s’aiguisent, les choses distantes deviennent plus claires – « on a l’impression que tout l’air de la pièce a été aspiré ».

0:10. Deuxième taffe. Vous fermez les yeux et « les couleurs se mettent à vibrer ensemble, et cela forme cette chose en forme de mandala, florale, tournant lentement » – « habituellement jaune-orange »- que McKenna appelait « le chrysanthème ». Alors « soit vous le percez, soit vous avez besoin d’une autre taffe. » (« Les fumeurs de haschisch expérimenté parmi nous ont un avantage de ce côté-là. »)

0:20. Troisième taffe. Les parties du chrysanthème. Il se produit comme le bruit d’un emballage plastique de baguette pain, ou comme le crépitement d’une flamme », et « une impression de transition ». « C’est comme s’il y avait une série de tunnels ou de chambres que vous descendiez en chute libre. »

0:40. Vous avez fait irruption dans ce « lieu ».

Dans une de ses conférences, sur ce stade de l’expérience, McKenna déclara : « Et le langage ne peut pas le décrire avec précision. C’est pourquoi je vais le décrire de façon inexacte. Le reste n’est plus que mensonges. » Et plus tard : « Je veux dire, vous devez comprendre : ce sont des métaphores dans le vrai sens du terme, ce sont des mensonges ! » Le fait que McKenna soit conscient de cet aspect de la DMT et qu’il s’y investisse accroît mon intérêt pour ses récits sur la DMT. Dans une conférence, il a déclaré :

« La raison pour laquelle c’est si déroutant, c’est parce que son impact se fait sentir sur la capacité de formation linguistique elle-même. Donc, la raison pour laquelle c’est si déroutant, c’est parce que la chose qui essaie d’examiner l’expérience de la DMT est infectée par la molécule. La DMT ne fournit donc pas une expérience que vous êtes en mesure d’analyser. Rien de tel ne peut se produire. La machine syntaxique de description subit une sorte d’inflation hyperdimensionnelle instantanément, et alors, vous savez, vous ne pouvez pas vous dire ce que c’est que vous comprenez. En d’autres termes, ce que la DMT fait ne peut pas être téléchargé dans une langue d’aussi basse dimension que l’anglais. »

Le lieu, ou l’espace dans lequel vous avez fait irruption –  ce que certains appellent « le dôme »- semble souterrain, et est doucement, indirectement éclairé. Les murs sont « grouillant d’hallucinations géométriques, très colorées, iridescentes avec de profonds reflets et de puissantes surfaces réfléchissantes. Tout est mécanique, lustré et palpitant d’énergie ». McKenna précisait :

« Mais ce n’est pas ce qui retient immédiatement mon attention. Ce qui retient mon attention, c’est le fait que cet espace est habité – que l’impression qui se dégage immédiatement lorsque vous y pénétrez par effraction, c’est qu’il y a une acclamation. (…) Vous pénétrez par effraction dans cet espace et vous êtes immédiatement submergés par des machines-elfes couinantes qui se transforment d’elles-mêmes… des machines faites de lumière et de grammaire, de sons, de bruits et de sifflements, des couinements, des grincements, des va-et-vient vers vous. Et elles crient : « Hourra ! Bienvenue ! Vous êtes là ! » Et dans mon cas, elles ajoutent « tu en envoies tant vers nous et tu nous rend visite si rarement ! »

0:50. Vous êtes « consterné ». Vous vous dites : « Bordel de merde, qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que c’est ? » McKenna observait :

« Et ce qui est bizarre avec la DMT, c’est qu’elle n’affecte pas ce qu’on appelle habituellement l’esprit. Vous êtes comme vous étiez avant, mais le monde a été radicalement remplacé à 100% – tout est parti, et vous êtes assis là, et vous vous dites : « Bordel, il y a un instant, j’étais dans une pièce avec des gens, et ils m’ont donné une drogue bizarre, et maintenant, que s’est-il passé ? C’est la drogue ? L’avons-nous fait ? C’est ça ? »

1:00. Les elfes, ou « ballons de basket auto-rebondissants et ornés de joyaux », s’avancent en courant. Ils « chantent, chantent, parlent dans un langage très bizarre à entendre, mais ce qui est beaucoup plus important, c’est que vous pouvez voir ce langage [ce qui est] complètement déconcertant » ! Et, aussi, il se passe quelque chose que McKenna a fini par appeler luv – « de l’amour qui n’est ni comme Eros ni comme de l’attirance sexuelle », quelque chose « presque comme une chose physique », « une colle qui se déverse dans cet espace ».

1:10. Chaque « créature elfes-machine » « joue des coudes avec les autres, en disant « regarde ça, regarde ça, regarde ça, prends ça, choisis-moi! » Ils viennent vers vous, et puis – et vous devez comprendre qu’ils n’ont pas de bras, alors nous sommes en quelque sorte en train de télécharger ceci dans une dimension inférieure pour ne serait-ce que le décrire, mais ils vous proposent quelque chose en échange de leur action ». Vous réalisez que ce que l’on vous montre – cette « prolifération de cadeaux elfiques », ou de « jouets célestes », qui « semblent vivants » – est « impossible ». Cet « état de frénésie incroyable » se poursuit pendant environ trois minutes, pendant lesquelles les elfes disent :

« Ne cèdes pas à l’émerveillement. Ne t’abandonnes pas à l’émerveillement. Fais attention. Fais attention. Regarde ce qu’on fait. Regarde ce qu’on fait, et ensuite fais-le. Fais-le ! »

4:10. Puis – seulement 5 % des témoignages rapportent cela – « tout s’arrête, ils vous regardent et vous sentez comme une torche, une étincelle, allumée dans votre ventre, qui commence à monter dans votre œsophage . » Puis la bouche « s’ouvre et ce truc qui ressemble à du langage sort. » C’est du son, mais « ce que vous expérimentez vraiment est une modalité visuelle où les tonalités sont des surfaces, des ombres, des couleurs, des bijoux, et vous façonnez quelque chose. » Les elfes « deviennent fous de joie ».

4:40.  » Tout commence à s’effondrer et les elfes commencent littéralement à s’éloigner physiquement de vous. Et d’habitude, leur dernière occasion est de vous dire au revoir. » Il y a « une ondulation dans le système et vous réalisez que ces deux continuums sont en train de se séparer. » (Une fois, au début du sentiment de tirage vers l’arrière synonyme de fin de l’expérience, tous les elfes se sont tournés simultanément et ont regardé McKenna et ont répété « déjà vu, déjà vu. ») McKenna ajoutait :

Et souvent, c’est très érotique, même si je ne suis pas sûr que ce soit le mot. Mais c’est presque comme si le sexe était la surface de laquelle cet endroit est le volume. Et je suis un grand fan de sexe, je ne veux pas le dénigrer. Je veux élever la DMT à un statut très élevé.

5:00. « Vous êtes en train de délirer. »

7:00.  » Vous ne vous souvenez de rien. » Vous vous dites : « C’est la chose la plus incroyable, c’est la chose la plus incroyable – de quoi suis-je en train de parler déjà ? » McKenna pensait que la DMT « pouvait jouer un rôle dans le rêve », en partie parce que « la façon dont un rêve se dissipe est similaire à la façon dont une expérience avec de la DMT se dissipe – à la même vitesse ». McKenna en a discuté lors d’une entrevue :

« Il y a un mécanisme qui assure l’auto-effacement. J’ai l’impression qu’on y découvre quelque chose de si contre-intuitif qu’on ne peut littéralement pas l’imaginer assis ici. Alors, au fur et à mesure que vous allez de là à ici, il arrive un moment où cela glisse sous la surface de toute appréhension rationnelle. »

*

L’expérience de la DMT était, pour McKenna, « d’un ordre fondamentalement différent de toute autre expérience de ce côté-ci du trou béant ». Il a déclaré que ce n’était pas une drogue, mais « quelque chose qui se déguise en une drogue ». L’expérience, a-t-il dit, serait différente pour tout le monde, mais  » sous une forme ou sous une autre, votre expérience sera au moins aussi dramatique que la mienne ». Il conclu provisoirement :

« Il faut prendre cela au sérieux. En d’autres termes, le « ce n’est qu’une hallucination » – ce genre de bêtises, c’est du passé. La réalité n’est qu’une hallucination, vous ne le saviez pas ? Alors ça suffit, ce n’est qu’une hallucination. Ce que nous avons ici, les amis, c’est une sorte d’entéléchie intelligente qui est impatiente de communiquer avec les êtres humains pour une raison qui nous échappe. »

McKenna a décrit les entités de la DMT, entre autres noms, comme étant des « elfes translinguistiques », des « entités fractales amicales », des « légions d’elfes de l’hyperespace », des « gamins », des « marchands de mèmes », des « collectionneurs d’art » et des « homoncules syntactiques ». Il a présenté ses théories sur la nature de ces entités, dont certaines que j’ai décrites ci-dessous, « sans jugement », a-t-il dit, parce qu’il n’était « pas sûr ».

1. Extraterrestres

Il pourrait s’agir d’extraterrestres –  » Vous savez, qui auraient évolué autour d’une étoile différente, peut-être avec une biologie différente, peut-être même pas faits de matière, qui viendraient de très loin, il y a peut-être longtemps, dont nous pourrions ou non concevoir les objectifs – voilà, c’est la vraie chose. »

« Si un extraterrestre cherchait à interagir avec une société humaine, et qu’il avait une éthique qui lui interdisait de débarquer sur la place des Nations Unies avec des navires en béryllium de plusieurs billions de tonnes – autrement dit, si elle était subtile – je peux l’imaginer se cacher dans une intoxication chamanique. Elle dirait : « Analysons ces gens. D’accord, ce sont des rationalistes à la tête dure, sauf qu’ils ont ce phénomène qu’on appelle « se défoncer » et quand ils se défoncent, ils acceptent tout ce qui leur arrive, alors cachons-nous dans cette défonce et nous leur parlerons à partir de là, et ils ne réaliseront jamais que nous sommes d’un statut bien différent de celui des éléphants roses. »

2. Entités dans un continuum parallèle

Une autre possibilité, qui « est peut-être plus proche, plus favorable aux notions païennes », est qu’il existe un continuum parallèle à proximité, pour ainsi dire juste ici ». McKenna élabora :

« Appelez ça le royaume des fées, le royaume de l’Ouest – peu importe – mais vous n’y allez pas en vaisseau spatial. Vous passez par des portes magiques qui s’ouvrent par des rituels et des choses comme ça. C’est aussi une possibilité. Certes, le folklore humain de tous les temps et de tous les lieux – à l’exception de l’Europe occidentale depuis 300 ans – a toujours soutenu que ces domaines parallèles de l’intelligence et de l’organisation existaient. »

3. Les défunts

Une troisième possibilité est que « ce que vous rencontrez dans l’expérience de la DMT sont des âmes humaines situées dans une autre dimension. » Pour McKenna, c’était une idée ahurissante. Il parvint à cette spéculation « à contrecœur ». Quelques-unes de ses preuves :

« Ces choses… ont une relation très bizarre avec les êtres humains. Tout d’abord, elles nous adorent ! Elles se soucient de nous pour je ne sais quelle raison. Qui qu’elles soient, elles sont beaucoup plus conscientes de nous que nous ne le sommes d’elles. D’abord par le fait qu’elles m’accueillent. Alors, est-il possible qu’à la fin du XXe siècle, à la fin de 500 ans de matérialisme, de réductionnisme, de positivisme, ce que nous sommes sur le point de découvrir est probablement le dénouement le plus improbable que nous ayons attendu de notre dilemme – ce que nous allons découvrir, c’est que la mort ne pique pas. »

4. Des humains du futur

Une quatrième possibilité serait que les entités sont « des êtres humains d’un monde futur extraordinairement avancé où les êtres humains sont maintenant faits de langage et ne font que deux pieds et demi de haut. Alors je dirais plutôt loin dans le futur ».

DMT : La molécule de l’esprit (2000) par Rick Strassman

Rick Strassman (né en 1952), à bien des égards, a pris un angle opposé à celui de Terence McKenna sur la DMT – du moins dans ses conférences et écrits – mais a découvert des choses qui, je pense, étaient également, mais différemment, bizarre et surprenantes et bouleversantes et profondes. En 1990, Strassman a entrepris  » la première étude aux États-Unis depuis plus de 20 ans sur les effets des drogues psychédéliques, ou hallucinogènes, sur les humains ».

De 1990 à 1995, Strassman a administré environ 400 doses en intraveineuses de DMT à 60 volontaires présélectionnés ayant une vaste expérience des psychédéliques. Il a documenté les résultats – ainsi que, de façon fascinante, parce qu’il était important que d’autres personnes sachent comment se frayer un chemin dans ce labyrinthe, le processus labyrinthique de deux ans, parfois kafkaïen, impliquant des interactions syncopées avec le Human Research Ethics Committee, la FDA, la DEA, et d’autres institutions, pour obtenir l’approbation afin de poursuivre ses recherches – paru en décembre 2000, neuf mois après le décès de Terence McKenna.

Le livre de Strassman incluait ses observations, découvertes et spéculations :

1. La DMT est « la plus simple des psychédéliques » et « existe dans tous nos corps et se retrouve dans tous les règnes végétal et animal. C’est une partie de la composition normale des humains et des autres mammifères, des animaux marins, des herbes, des crapauds et des grenouilles, des champignons et des moisissures, des écorces, des fleurs et des racines. »

2. « Par rapport à d’autres molécules, la DMT est plutôt petite. Son poids est de 188 unités moléculaires, ce qui signifie que son poids n’est pas significativement supérieur à celui du glucose, le sucre le plus simple dans notre corps, qui en pèse 180. »

3. « Il y a vingt-cinq ans, des scientifiques japonais ont découvert que le cerveau transportait activement dans ses tissus la DMT à travers la barrière hémato-encéphalique. Je ne connais aucune autre drogue psychédélique que le cerveau traite avec autant d’empressement. C’est un fait surprenant que nous devrions garder à l’esprit lorsque nous nous rappelons à quel point les biopsychiatres ont négligé le rôle vital pour la DMT dans notre vie. Si la DMT n’était qu’un sous-produit insignifiant et non pertinent de notre métabolisme, pourquoi le cerveau ferait-il tout son possible pour l’attirer dans ses confins ? »

4. « Une fois que le corps produit ou absorbe de la DMT, certaines enzymes la décomposent en quelques secondes. Ces enzymes, appelées monoamine-oxydases (MAO), sont présentes en fortes concentrations dans le sang, le foie, l’estomac, le cerveau et les intestins. La présence généralisée de MAO est la raison pour laquelle les effets de la DMT sont de si courte durée. Quand et où qu’il apparaisse, le corps s’assure qu’il est rapidement absorbé. »

5. La glande pinéale – qui est « unique en son genre dans le cerveau », en ce sens que toutes les autres parties du cerveau sont appariées – peut être là où la DMT est produite dans le corps humain : « L’hypothèse la plus générale est que la glande pinéale produit des quantités psychédéliques de DMT à des moments extraordinaires de notre vie. »

6. La glande pinéale des formes de vie plus anciennes, comme les lézards, est appelée « troisième œil » et possède une lentille, une cornée et une rétine. Au fur et à mesure de l’évolution de la vie, la glande pinéale s’est enfoncée plus profondément dans le cerveau. Enfin : « La glande pinéale humaine ne fait pas partie du cerveau. Au contraire, elle se développe à partir de tissus spécialisés dans le toit de la bouche du fœtus. De là, elle migre vers le centre du cerveau, où elle semble avoir le meilleur siège dans la maison. »

7. La glande pinéale « devient visible dans le foetus en développement » à quarante-neuf jours, le Livre Tibétain des Morts « enseigne qu’il faut quarante-neuf jours pour que l’âme des morts récents se réincarne », et quarante-neuf jours, écrit Strassman, est « presque exactement le moment où on peut voir clairement la première indication du sexe masculin ou féminin.

Les essais avec la DMT ont donné lieu à un nombre étonnamment élevé de rencontres avec des entités qui semblent avoir des niveaux d’existence autonomes et indépendants. Strassman a écrit qu’il n’était « ni intellectuellement ni émotionnellement préparé à la fréquence des contacts avec les êtres dans les études, ni à la nature souvent tout à fait bizarre de ces expériences. »

Ces êtres étaient décrits comme des « Jokers », des « clowns », des « entités ou quoi que ce soit d’autre », des « elfes de la DMT », des « personnages de bande dessinée », « une présence [qui] n’était pas hostile, juste un peu énervée et brusque », des « aliens », des « guides », des « gardiens », des « reptiles », des « mante religieuses », des « abeilles », des « araignées », des « cactus » ou encore des »figurines faites de bâtons ». Lorsque les participants ont ouvert les yeux, la réalité de l’espace de la DMT se superposait à celle de la chambre d’hôpital où ils se trouvaient, d’après leurs témoignages.

L’une des expériences les plus choquantes a été celle d’un participant nommé, dans le livre, Ken. Ce n’est pas une expérience représentative, mais je l’inclus ici comme une sorte de contrepoint – tout aussi épouvantable, mais complètement différent d’une autre façon – de l’expérience de McKenna. Notez que, dans les deux témoignages, l’expérience ne dure que cinq minutes.

[Ken] s’est calmé à peu près à la cinquième minute, mais il a fait la grimace et a secoué la tête. Quelques minutes plus tard, il a enlevé ses lunettes de soleil et a regardé droit devant lui. Ses pupilles restaient dilatées, alors Laura et moi nous sommes assis tranquillement, attendant qu’il descende un peu plus. À la 14ème minute, ayant l’air secoué mais gardant un peu de sang-froid, il s’est mis à [parler],
Il y avait deux crocodiles. Sur ma poitrine. M’écrasant, me violant analement. Je ne savais pas si j’allais survivre. Au début, je pensais que je rêvais, que je faisais un cauchemar. Puis j’ai réalisé que c’était vraiment en train d’arriver.
J’étais content qu’il n’ait pas la sonde rectale en place, comme c’était un jour de dépistage.
Des larmes se sont formées dans ses yeux, mais elles y sont restées.
« Ça a l’air horrible. »
C’était horrible. C’est la plus grande peur que j’aie jamais eue de ma vie. Je voulais vous demander de me tenir la main, mais j’étais coincé si fermement que je ne pouvais pas bouger, et je ne pouvais pas parler. Bordel !

L’expérience de Ken était anormale au regard de ce qu’il en a raconté malgré le fait que – comme vous l’avez lu ci-dessus – la « sonde rectal  » qui était étonnamment et nécessairement, semblait-il, utilisée sur des volontaires pendant l’étude et que seule une personne, nommée Nils dans le livre, avait refusé : « La sonde mesurait environ un huitième de pouce de diamètre ; elle était faite d’un fil recouvert de caoutchouc et était très flexible. Elle est entrée de 10 à 15 cm et a rarement causé de l’inconfort, sauf chez ceux qui souffraient d’hémorroïdes. »

Strassman a tenté des modèles psychologiques d’explication – Freud, Jung – mais ceux-ci ne correspondaient pas. Ses recherches, qui ont aussi porté sur la psilocybine, ont pris fin en 1995 après que, entre autres difficultés, son ex-femme eut reçu un diagnostic de cancer, que sa « communauté monastique bouddhiste » ait commencé à critiquer ses recherches et à « retirer son soutien », et qu’on lui ait refusé la permission de déplacer le lieu des recherches dans un endroit moins dur que l’hôpital bruyant et imprévisible, qu’il a appelé « le plus déplaisant possible, en un sens, pour les gens d’effectuer de grandes expériences ». En 2007, Strassman a été invité à participer à une discussion de chat IRC : « Quel est le rôle de la DMT dans le cerveau ? Pourquoi la produisons-nous naturellement en premier lieu ? » À ces questions, il a répondu :

« Je pense que nous avons besoin de quelque chose dans le cerveau qui produit ce qui semble nous arriver à différents moments de notre vie. Comme le silicium dans les puces d’ordinateur, la DMT est le meilleur matériau pour donner l’impression de permettre l’accès à des domaines non corporels isolés. D’un autre côté, comme nous produisons tous de la DMT tout le temps, la molécule peut aussi servir de médiateur de la perception de notre réalité quotidienne. »

*

Terence McKenna a déclaré dans une entrevue parue en 1989 dans son livre Le Renouveau Archaïque : « Une des choses qui m’intéresse au sujet des rêves est la suivante : J’ai des rêves dans lesquels je fume de la DMT, et ça marche. À mon avis, c’est extrêmement intéressant, parce que cela semble laisser entendre qu’il n’est pas nécessaire de fumer de la DMT pour avoir cette expérience. Vous n’avez qu’à convaincre votre cerveau que vous l’avez fait, et il délivre alors cet état altéré stupéfiant. »

Et, dans « DMT, Mathematical Dimensions, Syntax and Death« , il a expliqué :

Une fois, j’ai eu la chance de pouvoir convertir un lama tibétain célèbre à la DMT – un nom que vous reconnaîtriez, mais pas l’un des cinq plus célèbres, mais un autre personnage plus âgé, plus étrange et plus sorcier. Et moi, vous savez, il l’a fait, et j’ai dit : « Et alors ? » Vous savez, ces gens, ces bouddhistes tibétains, ont une assez bonne carte du territoire. Il a répondu que ce sont les lumières inférieures. Selon lui, on peut pas aller plus loin sans rompre le fil du retour. Au-delà de ça, il n’y aurait pas de retour. Et, donc, dans un sens très réel, c’est un regard par-dessus bord. Mais ça ne résout pas tous les mystères. Je veux dire, qu’est-ce qu’il y a dans ce désir de transmettre un langage qui est vu. Qu’est-ce que c’est que ça ? Est-ce que la langue a peut-être toujours été un cadeau de l’Autre.

*

Pour McKenna, l’expérience de la DMT fut profonde, extrême, déroutante et étonnante, mais ce n’est sans doute pas le composé qu’il a défendu le plus ou dont il a le plus parlé. À mon avis, il s’agit plutôt de la psilocybine – le sujet de la semaine prochaine – qui se trouve dans environ 200 types de champignons et qui, une fois dans le corps humain, se décompose en psilocine, qui diffère de la DMT par l’addition d’un atome d’oxygène.

 

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Article original : Tao Lin /vice.com