La Décision « Révolutionnaire » De La FDA Sur Les Champignons Magiques Expliquée Par Des Scientifiques

« C’est un progrès important pour faire sortir ces composés de l’âge des ténèbres. »

La Food and Drug Administration des États-Unis a donné sa bénédiction à un groupe de psychiatres pour administrer des champignons magiques à leurs patients lors de séances de thérapie. Cette semaine, la FDA a accordé la désignation de « Thérapie révolutionnaire » à la thérapie assistée par la psilocybine de COMPASS Pathways pour combattre la dépression résistante au traitement. L’entreprise de biotechnologie londonienne, appuyée en partie par Peter Thiel, utilisera la psilocybine, un composé psychédélique extrait des champignons magiques, pour traiter des patients en Europe et en Amérique du Nord dans un essai de phase 2b visant à déterminer la dose optimale.

Pour les scientifiques qui étudient les composés psychédéliques, la décision de la FDA est une bonne nouvelle. La désignation de Thérapie Révolutionnaire, établie pour la première fois en 2012, permet à la FDA d’aider étroitement les chercheurs dans le développement d’un médicament prometteur pour traiter des maladies ou des affections graves.

Le Dr. Roland Griffiths, professeur de psychiatrie et de sciences du comportement à l’Université Johns Hopkins, dirige le laboratoire qui a mené le premier essai clinique contemporain approuvé par la FDA sur la psilocybine en 2000. Il est enthousiasmé par les nouvelles.

« Il s’agit d’un développement positif important dans la possibilité d’une future approbation réglementaire de la psilocybine à des fins médicales », explique Griffiths à Inverse. « Après une interruption de plusieurs décennies de la recherche sur la psilocybine et les psychédéliques apparentés, des chercheurs américains et européens ont démontré l’innocuité et les signes préliminaires d’efficacité de la psilocybine pour diverses applications thérapeutiques. »

Kelan Thomas, professeur agrégé de sciences cliniques à l’Université Touro de Californie, a coécrit en 2017 une étude dans le Journal of Psychoactive Drugs sur la thérapie assistée par psilocybine, dans laquelle lui et son équipe prévoyaient le rôle du composé pour l’avenir de la psychiatrie.

« J’ai été très surpris que la FDA ait déjà accordé la désignation de Thérapie Révolutionnaire juste deux mois après avoir approuvé la conception de l’étude, » a déclaré Thomas à Inverse. « Habituellement, la FDA veut évaluer les données des essais de phase 2b du candidat-médicament avant d’accorder la désignation de Thérapie Révolutionnaire, mais les données des essais cliniques antérieurs sur la psilocybine résumées dans mon article paru en 2017 étaient peut-être suffisantes. »

Griffiths explique toutefois que la désignation de Thérapie Révolutionnaire n’indique pas nécessairement que la FDA approuvera la psilocybine pour usage par les humains. Ce que cela signifie, c’est que la FDA considère la thérapie assistée par la psilocybine comme une nouvelle approche pour traiter spécifiquement la dépression résistante au traitement, une pathologie qui touche 50 % des patients souffrant de dépression clinique.

Les champignons à psilocybine pourraient être légaux dans quelques années.

Le Dr Matthew Johnson, professeur agrégé de psychiatrie et de sciences du comportement à l’Université Johns Hopkins, collabore avec Griffiths à la recherche sur la psilocybine et reconnaît que cette nouvelle est importante.

« Le statut de Thérapie Révolutionnaire de la FDA est une chose importante », a-t-il déclaré à Inverse. « Cela implique que la FDA reconnaît que le traitement a potentiellement un impact important sur une pathologie largement sous-traitée. Cela signifie également que la FDA travaille plus étroitement avec le promoteur compte tenu des avantages potentiels pour la santé publique et qu’elle va au-delà de la relation habituelle du « Juste les faits, m’dame  » qu’elle a d’habitude avec les laboratoires pharmaceutiques.

Cela signifie qu’au lieu de se contenter d’examiner les résultats des essais cliniques de COMPASS, la FDA fera des recommandations constructives plus rapidement qu’elle ne le ferait dans le cas d’essais de médicaments classiques.

La FDA n’a pas voulu faire de commentaires sur la nouvelle, citant le statut confidentiel des demandes de traitement innovant. Mais COMPASS Pathways a annoncé le développement elle-même mardi.

Pour Johnson et Griffiths, les nouvelles suggèrent que la FDA est de plus en plus disposée à examiner la psilocybine du point de vue de la science et de la santé publique, plutôt que dans une position de peur ou de malentendu. Ce changement a été lent, car l’apogée psychédélique des années 60 a déclenché une culture de la peur autour des drogues psychédéliques, ce qui a empêché les scientifiques traditionnels d’y toucher pendant des décennies.

« Nous n’avons pas de domaine scientifique – à l’exception peut-être des armes chimiques ou de celle des armes bactériologiques – où il existe un consensus culturel selon lequel c’est si dangereux que nous ne devrions rien faire avec, » a expliqué Griffiths. Mais grâce au travail accompli au cours des 18 dernières années à Johns Hopkins, à l’Imperial College de Londres, à l’Université de New York et dans d’autres établissements universitaires du monde entier, ce consensus culturel est en train de changer, et la décision de la FDA en est la preuve. Johnson affirme que la désignation de « thérapie révolutionnaire » indique que la FDA ne portera pas de « préjugés contre [la psilocybine] pour des raisons non scientifiques et politiques ».

« Je pense qu’il s’agit d’un progrès important pour faire sortir ces composés de l’âge des ténèbres et les faire émerger dans la lumière du potentiel culturel acceptable pour explorer plus en profondeur leurs applications, » a ajouté Griffiths.

Tout cela devient possible parce que les scientifiques ont suffisamment de connaissances de base sur la psilocybine pour aller de l’avant avec confiance dans les essais sur les humains, sachant qu’il est peu probable que cela causera des dommages aux volontaires.

Cet été, Griffiths, Johnson et leurs collègues ont publié dans la revue Neuropharmacology une longue analyse du potentiel danger de la psilocybine. Dans cet article, ils concluent que la psilocybine présente un très faible risque d’abus et de dépendance et un faible risque de nuire aux personnes qui en consomment.

Ils ont également recommandé que la psilocybine soit transférée à l’annexe IV de la Loi sur les substances contrôlées – la catégorie qui comprend des drogues comme le Xanax et l’Ambien. À l’heure actuelle, la substance est inscrite à l’annexe I – avec l’héroïne – ce qui signifie qu’elle n’a aucune valeur médicinale et qu’elle présente un potentiel élevé de danger pour les personnes. Mais au fur et à mesure que les recherches s’accumuleront, la loi sera obligée de rattraper son retard.

Griffiths tient toutefois à souligner que la psilocybine n’est pas toujours inoffensive. Dans un sondage publié en 2016 dans le Journal of Psychopharmacology, l’équipe de Hopkins a constaté que sur 1 993 personnes qui avaient vécu des expériences psychédéliques difficiles, 7,6% d’entre elles ont fini par demander un traitement professionnel pour des symptômes psychologiques qui ont duré longtemps après la fin de l’expérience.

« Bien que le risque de dépendance à ces substances soit faible, explique Griffiths, cela ne signifie pas qu’elles sont inoffensives, et elles doivent certainement être réglementées d’une manière ou d’une autre. La FDA sera ultimement responsable de déterminer les paramètres de ce règlement. »

Reste à voir si cela ressemble à une pharmacie centrale qui dispense des médicaments directement aux psychiatres, ou peut-être autre chose, mais Griffiths est presque sûr d’une chose :

« Il semble peu probable qu’il s’agisse de composés qui seront distribués en pharmacie. »

 

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Article original : Peter Hess /inverse.com