La guerre contre les drogues est une guerre contre la guérison.

La façon dont vous pensez et interagissez avec les « drogues » – des substances comme la marijuana*, l’héroïne, les champignons ou la cocaïne, mais aussi la caféine, le sucre et l’alcool – est le résultat de normes, d’attentes et de propagande fondées sur des idéologies colonialistes et impérialistes.
La criminalisation et la violence inhérentes au système mondial de contrôle des drogues est le prolongement d’une tentative continue de contrôle social qui se manifeste depuis que les humains ont commencé à coloniser et à opprimer à la poursuite de terre, du capital et de l’empire. Les valeurs axées sur le profit et l’empire des premiers colons ont été un précurseur de la guerre moderne contre la drogue, qui continue de dévaster les groupes marginalisés et les communautés de couleur aux États-Unis et dans le monde entier, même si certains progrès ont été constatés.
En tant que société qui commence à discuter sérieusement de solutions créatives au statu quo fondé sur la punition et l’abstinence, nous devons reconnaître que le maintien de l’interdiction des drogues exige à la fois une mauvaise appropriation** et le contrôle de substances qui sont indigènes à certaines terres et cultures, une diabolisation racialisée ainsi qu’une interdiction sélective des substances importées. Afin de faire la transition au-delà de la prohibition en toute intégrité, nous devons aussi nous éloigner des récits moralisateurs et condescendants sur la variété des relations que les gens entretiennent avec ces substances. Ce changement commence en partie par la reconnaissance du rôle que les récits longtemps obsolètes mais toujours dominants jouent dans la perception des utilisateurs de drogue, de la prohibition des drogues et de la consommation de drogues elles-même.
La colonisation des drogues au fil du temps
Il y a des siècles, les missionnaires puritains britanniques et catholiques espagnols ont concocté une propagande basée sur la peur que les substances enthéogènes***, des champignons au peyotl, auraient permis aux tribus de communiquer avec le diable. La propagande a mené à la criminalisation, qui a fourni une excuse pour la violence et le contrôle, et a mené au génocide des peuples et des pratiques culturelles. Les colons sont arrivés en Amérique avec plus d’alcool que d’eau; de nombreux immigrants européens croyaient que l’alcool était divin et médicinal, et tout en introduisant les autochtones à l’alcool, les colons ont privé les communautés indigènes de l’accès à leurs propres substances curatives. Cette dépendance anglo-européenne et blanche à l’alcool s’est répandue dans la culture américaine moderne et se poursuit encore aujourd’hui.
La preuve de cette double norme raciale et coloniale se trouve dans l’évolution de la façon dont les gens perçoivent et utilisent la marijuana. Dès les années 1600, les colons ont commencé à cultiver le chanvre pour l’utilisation de ses fibres. Dans les années 1800, l’establishment médical a fait la promotion des propriétés médicinales de la marijuana et, au début des années 1900, alors que le prix de l’alcool commençait à augmenter régulièrement, la marijuana a été présentée comme une substance récréative. Cependant, après la guerre mexicano-américaine, les partisans d’une frontière de plus en plus militarisée ont trouvé un allié chez des gens comme Harry Anslinger, ancien commissaire du Bureau des stupéfiants (qui est devenu plus tard la DEA), qui a utilisé la marijuana comme bouc émissaire dans un ressentiment anti-mexicain explicite. Dans les années 1930, en partie en réponse à la propagande raciste d’Anslinger et d’autres, les États-Unis et le Mexique ont commencé à sévir contre la possession, la consommation et la distribution de marijuana.
D’autres substances originaires de différentes régions – comme la coca et l’opium – fournissent des preuves supplémentaires de l’hypocrisie de la « justice » criminelle racialisée. Ces deux substances sont utilisées depuis longtemps par les peuples autochtones d’Amérique du Sud et d’Asie, respectivement. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les Américains et les Européens les utilisaient également, principalement en médecine, mais aussi à des fins personnelles ou récréatives. Cependant, en réponse à l’afflux de Chinois entrant en Californie, San Francisco a interdit l’opium en 1875. En 1909, la Commission de l’opium de Shanghai s’est réunie, marquant le début d’une tentative transnationale de contrôle de la production, du commerce et de la consommation de certaines substances. Ironiquement, les puissances coloniales du début des années 1900 – comme les Britanniques et les Néerlandais – ont conservé un vif intérêt à maintenir le libre-échange de ces substances, mais elles ont été rapidement dépassées par les intérêts américains en matière d’interdiction, à partir de 1914 lorsque le Congrès a adopté la Harrison Narcotics Tax Act qui réglementait et taxait la production, l’importation et la distribution d’opiacés et de produits de coca (y compris la cocaïne).
Au début des années 1970, une cohorte dirigée par le président américain Richard Nixon a explicitement réassocié ces substances à la criminalité, à la pauvreté et aux communautés noires, militarisant fondamentalement le programme américain de lutte contre la drogue. Cela a permis à Nixon de poursuivre la mise en œuvre de l’application déjà déséquilibrée des lois sur les drogues, jetant ainsi les bases de la crise de l’incarcération massive dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Il est maintenant de notoriété publique que si la consommation de marijuana a augmenté régulièrement parmi tous les consommateurs au cours des cinquante dernières années, il en est de même pour les arrestations; les Latinx et les Noirs aux États-Unis, cependant, continuent d’être arrêtés à un taux quatre fois plus élevé que les Blancs, malgré des taux d’utilisation comparables dans chaque population. L’Amérique continue l’héritage de l’esclavage par sa dépendance à l’emprisonnement, où les gens qui sont incarcérés nettoient après une catastrophe naturelle et combattent les incendies souvent pour moins de 10 $ par jour.
À ce jour, neuf États et Washington DC ont légalisé et réglementé la marijuana, et des initiatives sont en cours pour réparer certains des méfaits de la prohibition dans des villes comme Oakland et l’État du Massachusetts. Bien que ces développements soient prometteurs, de nombreuses personnes issues de communautés à faible revenu et de communautés minoritaires – où la guerre contre la drogue a été principalement menée – continuent d’être accablées par des condamnations antérieures pour possession de marijuana et continuent d’être la cible excessive des forces de l’ordre. En outre, la réforme des politiques – en dehors de l’abolition complète des prisons et le réinvestissement dans les services sociaux, la réduction des risques et l’aide étrangère – fait courir le risque d’exercer des pressions sur les marchés clandestins, qui s’adaptent en modifiant l’offre et la demande, par exemple en passant de la marijuana à l’héroïne.
La colonisation des drogues aujourd’hui
Le procureur général Jeff Sessions continue d’entraver les politiques de réduction des risques fondées sur le bon sens qui permettraient d’enrayer l’épidémie d’opiacés (y compris la décriminalisation ou la légalisation de la marijuana) alors que le nombre de décès par surdose augmente. La « nouvelle » des surdoses d’opioïdes et des décès dus au désespoir affectant les Blancs n’est pas une nouvelle pour des millions d’Américains pauvres et marginalisés qui n’ont jamais connu une époque sans aucun décès dus au désespoir.
Malgré des siècles de propagande et de politiques biaisées associant des substances végétales actuellement illicites au chaos, à la violence et à la malveillance, l’utilisation de ces substances au sein des communautés autochtones continue d’être traditionnellement médicinale, spirituelle ou initiatique, souvent dans des contextes culturellement enracinés. Le peyotl et les champignons contenant de la psilocybine sont utilisés dans les Amériques dans des contextes cérémoniels pour prier, guérir et approfondir la compréhension de soi. Des substances comme la marijuana, l’ayahuasca, l’iboga et les champignons ont aussi une longue histoire d’utilisation dans d’autres parties du monde. Ce n’est pas un hasard si de nombreuses substances extraites ou synthétiques, ayant des propriétés enthéogènes similaires, sont traitées de la même manière par les forces de l’ordre que les plantes démonisées par les premiers colons. Pour de nombreuses personnes, des substances comme le LSD, la MDMA, la DMT et la kétamine procurent les expériences médicinales, spirituelles et thérapeutiques que les humains connaissent avec les plantes depuis des milliers d’années.
Le coût de ce désalignement et de l’incapacité à reconnaître que la guérison existe au-delà du paradigme pharmaceutique est élevé; en fait, les limites des traitements pharmaceutiques actuels peuvent être une conséquence directe des tentatives susmentionnées de contrôler les molécules individuelles en premier lieu. Des millions de personnes sont insatisfaites et mal desservies par le cadre actuel des soins de santé, même lorsqu’elles peuvent se payer un traitement. Après des années de recherche gelée et d’utilisation invisibilisé, la thérapie psychédélique assistée par la MDMA, la kétamine ou la psilocybine est maintenant prometteuse pour le traitement de maladies comme le syndrome de stress post-traumatique, la dépression, la tendance suicidaire et l’anxiété. Les substances multiples, y compris l’ayahuasca et l’ibogaïne, peuvent aider à la guérison des traumatismes et au rétablissement à la suite d’un trouble lié à la consommation d’alcool et d’autres drogues. Comme le montrent les études, ces thérapies peuvent être comparables (et, dans certains cas, beaucoup plus efficaces) aux formes de traitement généralement acceptées, comme les anti-dépresseurs et les programmes en 12 étapes. Cependant, les personnes qui cherchent ces traitements risquent d’enfreindre la loi ; jusqu’à ce que cela change, nous continuerons tous à subir les conséquences de ces mêmes erreurs que les premiers colons.
Décoloniser la consommation de drogues
L’interdiction des drogues et la criminalisation des consommateurs de drogues sont deux outils de cadres politiques violents et dominants, et l’interdiction a entraîné la soumission d’une pratique psycho-spirituelle et thérapeutique authentique, sincère et assistée par la substance, ayant des racines dans les cultures autochtones à travers l’histoire et dans le monde entier.
Décoloniser l’usage de drogue au niveau personnel signifie revenir à des relations intentionnelles avec ces substances qui sont fondées sur le respect, la réciprocité et la révérence. Cela signifie contextualiser sa relation à l’usage de drogue dans les paradigmes du colonialisme, du patriarcat et de la violence et prendre conscience du spectre d’intentions derrière l’auto-dosage, la guérison, le culte, la croissance personnelle.
Décoloniser l’usage de drogues au niveau institutionnel signifie que nous légitimisions et donnions accès à des pratiques enthéogéniques à base de plantes, et que nous sensibilisions davantage les pratiques et les cadres de guérison indigènes qui vont au-delà de la dépendance du système de santé actuel à l’égard de traitements spécifiques pour des indications uniques. Cela signifie qu’il faut savoir pourquoi des institutions comme la DEA, la FDA et d’autres utilisent les normes qu’elles utilisent, et pourquoi il est impératif de les critiquer.
Décoloniser l’usage de drogue au niveau communautaire signifie que nous reconnaissions la colonisation intercontinentale, le génocide et l’asservissement des peuples autochtones, et les diverses façons dont cela se déroule, y compris la dépendance à la drogue, la violence domestique et le suicide. Cela signifie que nous faisions des recherches, discutions et créions des politiques qui réduisent les préjudices de la colonisation sur ces peuples. Surtout, cela signifie que nous soutenions et élevions les membres de nos communautés qui ont été touchés par la prohibition, que nous promouvions leur leadership et que nous cherchions activement à réparer des siècles de dommages causés par la colonisation, l’oppression et l’exploitation.
* Le mot « cannabis » est de plus en plus utilisé par les médias et l’industrie, d’autant plus que les États continuent de décriminaliser la plante, et c’est le terme scientifiquement correct. Cependant, le mot « marijuana » a une longue histoire d’utilisation, y compris une époque de militarisation raciste, ce qui complique son histoire. Nous, comme la militante Sonia Espinosa, choisissons de l’utiliser par respect et reconnaissance du nom et de ses vraies racines.
** L’appropriation attire l’attention sur l’utilisation des normes ou pratiques d’une autre culture. Le détournement reconnaît que l’appropriation corrompt souvent l’intention et/ou le rituel entourant les pratiques culturelles. Plus simplement, c’est l’utilisation de quelque chose qui n’est pas le vôtre sans savoir comment ou pourquoi il a été utilisé à l’origine.
*** Le mot « enthéogène » signifie « divin-intérieur » et est parfois utilisé comme synonyme de « psychédélique », ce qui signifie « manifestation de l’esprit ». Cependant, les deux mots ont des implications différentes, et le mot enthéogène est utilisé ici pour attirer l’attention sur l’aspect de l’expérience que beaucoup de gens associent à une relation à l’esprit, au mysticisme ou à la divinité.
Illustration: Peinture murale par Desiderio Hernandez Xochitiotzin