Ces enthéogènes sont depuis longtemps considérés comme des remèdes dans les traditions indigènes et constituent toujours une ressource extrêmement précieuse pour notre planète et notre existence humaine, actuellement en grand besoin d’aide, tant sur le plan social que sur le plan écologique.
Quand je me suis assise pour la première fois avec ma professeure Julieta dans la ville de Huautla de Jiménez au Mexique, après avoir auparavant exploré les enthéogènes pendant un certain temps dans divers états d’esprit et divers environnements, j’ai tout de suite su que j’étais devant une maîtresse compétente, digne d’être écoutée et gardant dans son âme et sa voix les origines d’une sagesse et d’une tradition ancienne. Alors, j’ai écouté. J’ai entendu des chants, des prières et des liaisons avec le divin, j’ai été témoin d’extractions et de techniques de guérison et, surtout, j’ai expérimenté le silence comme un lieu de liaison avec les profondeurs de mon âme. Pendant 20 ans, je suis demeuré attentive à ce qui m’a été offert, à ce que j’ai pu recevoir, et aussi à ce qu’on m’a donné la permission de partager. À travers les âges, les tribus de nombreuses parties du monde ont utilisé des plantes et des champignons aux vertus psychédéliques leur permettant de guérir, de renforcer l’harmonie communautaire et de se synchroniser avec les saisons de la Terre. Ces enthéogènes, qui ont été considérés comme des remèdes dans les traditions indigènes, sont toujours une ressource extrêmement précieuse pour notre planète et notre existence humaine, actuellement en grand besoin d’aide, tant sur le plan social que sur le plan écologique.
En tant que thérapeute, j’ai toujours voulu soutenir des personnes dans leur cheminement vers la manifestation de leur potentiel. En tant qu’explorateur des états de conscience élargis provoqués par les enthéogènes, j’ai été passionné par les façons radicales et mystérieuses dont les plantes, les champignons et autres substances élargissent et transforment le paysage intérieur de l’esprit humain. En acquérant des connaissances auprès de guérisseurs autochtones, j’ai réalisé à quel point il était important pour nous tous de nous préparer avec rigueur aux cérémonies qui précèdent les états de conscience modifiés, et de faciliter notre réintégration dans la vie quotidienne.
Bien que nous ayons la chance, ces temps-ci, d’être accueillis dans l’expérience de la sagesse des pratiques indigènes par l’utilisation sacrée de ces enthéogènes, nous avons aussi acquis au cours des 70 dernières années, une feuille de route détaillée des états augmentés de conscience grâce au domaine de la psychologie occidentale. Nous pouvons maintenant faire le pont entre ces deux écoles de sagesse avec un respect et une efficacité réciproques.
Cette voie, c’est celle de la communauté, c’est celle des enfants et de toute une famille qui cohabite au sein d’une grande communauté où l’on rit, pleure, se dispute et fait vie commune.
En tant qu’explorateur avide des niveaux supérieurs d’expansion de la conscience, et dans l’espoir de soulager la souffrance, ma professeure m’a demandé d’écouter, d’attendre, de sentir et d’entendre avec le cœur. Au cours de mes années passées avec Julieta, j’ai été témoin de sa gratitude envers toutes les fleurs et les herbes médicinales sur les sentiers des montagnes du sud du Mexique, envers les abeilles qu’elle gardait dans la forêt près de son village, celles-là même qui lui ont donné le miel servi avec les champignons sacrés, ainsi que la cire des bougies qui éclairaient son autel pendant la nuit dans lequel elle avait officié pendant 50 années, lui procurant un lieu d’espoir et de mystère pour toute personne appelée à assister à une cérémonie. Elle avait l’habitude de dire que le divin travaillait à travers elle, et que la gratitude des personnes guéries n’était pas pour elle, puisque c’étaient les champignons qui établissaient le diagnostic et provoquaient la guérison. Elle m’a aussi expliqué que la meilleure façon d’apprendre l’usage des substances sacrées reposait dans le dévouement et l’humilité. Elle a insisté sur le fait que ce chemin ne concernait pas seulement le nombre de champignons dans l’assiette et les chansons chantées pendant les heures de la cérémonie. Ce que j’ai appris de Julieta, au-delà de ses paroles, c’est que ce chemin de guérison est une relation intime avec la Terre. Il s’agit de personnes qui marchent avec respect sur les sentiers de montagne et observent avec émerveillement le brouillard remplir la vallée le soir. Cette voie, c’est celle de la communauté, c’est celle des enfants et de toute une famille qui cohabite au sein d’une grande communauté où l’on rit, pleure, se dispute et fait vie commune. Ce chemin de guérison est fait de ces nombreux aspects qui créent une vie de plénitude et de communion.
Notre défi est de transposer et d’adapter cette ancienne sagesse indigène dans nos vies modernes, d’intégrer leur enseignement et leurs techniques en utilisant les plantes sacrées de la manière la plus efficace, y compris en utilisant de nouvelles substances développées dans la culture occidentale comme la MDMA, la kétamine, la 5-MeO-DMT, etc. MAPS s’est engagé à orienter ses efforts vers l’objectif louable de la légalisation de ces substances puissantes, et nous sommes maintenant au seuil de ce moment important après une très longue période de restrictions et d’ignorance.
Quelques années auparavant, on m’a tiré dessus alors que je voyageais dans le nord de la Thaïlande, et mon compagnon de voyage a été tué sous mes yeux.
De façon synchrone, alors que la MDMA était encore légale aux États-Unis et que je venais d’arriver en Californie, j’ai eu la chance de vivre des expériences thérapeutiques en ingérant cette substance qui m’a permis de soigner un traumatisme dévastateur. Quelques années auparavant, on m’a tiré dessus alors que je voyageais dans le nord de la Thaïlande, et mon compagnon de voyage a été tué sous mes yeux. Ce traumatisme m’avait affaibli au-delà de ma propre conscience. Puis, la thérapie à la MDMA a changé ma vie. J’ai été capable d’apaiser la peur que j’avais dans mes tripes et de changer mon incapacité à faire confiance aux gens.
De nombreuses personnes comme moi ont été guéries au moyen de la thérapie assistée par la MDMA grâce à la recherche de la fondation MAPS, et j’espère que nous serons bientôt en mesure de créer un nouveau protocole fondé sur la légalisation des substances sacrées à des fins thérapeutiques. Nous nous trouvons actuellement dans une période de renaissance psychédélique qui offre beaucoup d’espoir pour la guérison d’un grand nombre de personnes. Je crois qu’avec cet espoir, nous sommes confrontés à un double défi : d’abord nous appuyer sur les fascinantes recherches et explorations médicales qui ont été rendues disponibles par de nouvelles réglementations légales et puis, avec elles, porter notre attention sur les territoires et les peuples qui ont maintenu ces médecines sacrées en vie durant des siècles.
Dans mon prochain livre, Consciousness Medicine (à paraître le 25 juin chez l’éditeur North Atlantic Books de Berkeley), je parle du pont respectueux que nous devons tous établir entre les traditions indigènes et notre culture urbaine en ce qui concerne une utilisation plus judicieuse des enthéogènes. Je crois qu’il est crucial pour notre monde industrialisé moderne de se rappeler comment ces méthodes indigènes ont soutenu des cultures comme celle de Julieta pendant des milliers d’années, et d’appliquer cette sagesse aux générations futures. J’espère que nous trouverons plus de possibilités de guérison avec ces médecines qui, après tout, ont constitués les premiers outils de guérison pour les malades.
Françoise Bourzat est spécialisée dans la psychologie somatique. Elle a été initiée à la tradition Mazatèque mexicaine des champignons sacrés et partage son approche dans le monde entier depuis 30 ans.